jeudi 28 octobre 2004

Ô Queneau!

Vous connaissez les Exercices de style de Queneau? 99 variations de la même histoire...
En voici une centième. Allez, pour Raymond! (Et pardon aux Français de massacrer leur propre massacre linguistique!)

Version discours intérieur (ou version La Haine)

Aujourd’hui, Ophélie a filé son noeud. Pour un autre. Mieux que moi, elle a dit. La salope.
J’ai fait ce que j’ai pu, alors j’ai rien fait. J’y pouvais rien. J'me suis pas débattu. J’ai même pas sourcillé; pas même un petit poil. Putain de sa race. Mais ça m’a ramené sur terre, j'te jure. J'suis goutdé. Sur le plancher d’un bus de la ligne S. Direction ma reum. Elle a jamais caré Ophélie.

Près de moi, un macque. Un homme à long cou et à tuyau de poêle. C’est peut-être lui; Ophélie a toujours aimé les longs cous. Les chapeaux aussi. J'le kiffe pas. Plus j'le mate, plus c’est lui. C'est trop d'la balle. Rien m’en assure, mais l'assurance s’installe. Nullache. Se faire laisser pour lui! C’est dur. Il a l’air grotesque. Et il est impoli. Trop relou. J'peux pas accepter ça.

À l’exact moment où j’allais m’abaisser à lui foutre un coup de boule, le marlou descend. La vache. Pendant deux heures, j'me chauffe le cerveau. J' regrette de pas lui avoir envoyé une brugne plus tôt.

Les regrets cessent quand je le recroise. Il discute frusques avec un ami. Ophélie a toujours aimé parler redingote. Cette fois, je vais lui buter le borgne, j'te jure.

mardi 26 octobre 2004

Le Silence des fumeurs

Un des grands avantages de la cigarette, c'est qu'elle oblige les gens à se la fermer quelques secondes, le temps de pomper. Remarquez qu'il ne se dit pas moins de conneries pour autant, sinon que les fumeurs en disent 20 ans moins longtemps.

Tenir par un fil

Devant moi, une classe vide. 40 chaises. 40 tables. Vide. Mélissa, comme toujours la dernière à terminer, venait de partir en me remettant sans mot dire son examen final. Elle ne m’avait laissé qu’un sourire timide pour cadeau de Noël. Fin de session. 40 visages familiers que je ne reverrais peut-être jamais. 40 visages qui auront toujours 17 ans.

Je suis resté assis, devant l’écho de mes soupirs. Voilà deux semaines que je jouais, deux semaines que je faisais semblant que tout allait bien. Mon monde s’écroulait mais tout devait bien aller. C’était ma fin du monde. A. me quittait. À l'imparfait. Le verbe quitter se conjugue plus souvent au passé composé, comme si on ne s’en rendait compte qu’après coup. Pas cette fois. A. flottait lentement vers le large, comme un bateau quitte le quai, comme un train quitte la gare, avec cette douceur qu’on ne peut stopper.

J’avais mis beaucoup d’efforts pour que mes étudiants ne se rendent compte de rien. Mais parfois, la concentration manquait. J’étais sur le quai. Ils devaient répéter leur question. Je n’avais plus de réponse.

Là, j'avais enfin fini. Je pouvais rentrer chez moi, dans mon apocalypse. J’ai profité de l’isolement que la salle de classe m’offrait pour remembrer mon courage. Dans la brume, j’ai regardé l’examen de Mélissa. Son nom était écrit avec une calligraphie ronde, chacune des lettre d'une couleur distincte, les pétales d’une fleur impossible autour du point du i. Adorablement, insupportablement adolescent. Dans le coin droit au bas de la page, elle avait dessiné un soleil derrière un nuage. Un soleil d’enfant avec un grand sourire et un clin d’oeil entendu. Et sous ce dessin, une phrase. Une larme s’est mise à couler sur ma joue. Mélissa avait écrit “Derrière chaque nuage, il y a un soleil.” J’avais déjà lancé des pierres à des amis pour moins que ça. Mais là, elle avait tiré sur le fil qui décousait mon armure. Une armure qui résistait aux flèches, aux balles et aux boulets. Mais pas à ça.

Devant 40 tables et 40 chaises vides, j’ai pleuré.

Comme dans un mauvais film, le concierge a fait irruption à ce moment-là. J’ai essuyé une joue et j’ai eu un petit rire de malaise. Snif! Hé! Hé! J’ai brandi la feuille de Mélissa en disant:
- C’est plutôt rare, une composition aussi courte, aussi juste... et sans faute!
Pour toute réponse, j’ai entendu le bruit des roues de la chaudière jaune qui fuyait dans le corridor. Le même bruit que l'amour qui s'éloigne. Un concierge ne sait pas essuyer tous les dégats.

vendredi 22 octobre 2004

Le Manteau écarlate

J’avais treize ans. C’était l’hiver et il neigeait des flocons gros comme des scarabées. Je revenais de l’école en marchant, la tête par en arrière, la bouche ouverte et la langue sortie. Un mangeur de flocons, une grimace à l’univers entier. J’avais treize ans. Je me rasais depuis quelques semaines dans l’espoir qu’une barbe pousse; j’étais un homme malgré ma voix qui tardait à achever sa mue; quand je criais, on aurait dit Maria Carey, avant qu’elle ne fût populaire.

Je mâchais du flocons tranquillement lorsqu’au loin j’ai aperçu la petite forme arrondie de ma grand-mère Mignonne dans son manteau écarlate. À 4'8", la couleur de son manteau était pour elle la seule façon de revenir de ses promenades sans avoir été happée par la souffleuse. Pendant quelques secondes, j’ai oublié mon orgueil d’ado et je suis redevenu enfant. J'ai couru entre les flocons en criant grand-maman. De ma gorge sortaient des chats qu’on égorgeait. Maudite mue. Malgré mes cris, ma grand-mère ne bougeait pas. Elle ne se retournait même pas. Alors j’ai hurlé plus fort, j’ai couru plus vite.
Grand-maman!!
Encore 100 mètres.
Grand-maman!!!
Je courais comme un homme de treize ans.
Encore 50 mètres...

Plus je m’approchais, moins il y avait de scarabées qui nous séparaient, mieux je la voyais. Et tout à coup, je me suis aperçu que ma grand-mère était une boîte aux lettres de Postes Canada...

La honte.

J’ai continué de courir un peu au delà de la boîte aux lettres. Puis je me suis remis à marcher sans regarder autour de moi. J’ai crié moins fort deux ou trois «grand-maman» pour la forme, comme si depuis le début c’était pour moi. Puis je me suis tu. Jusqu’à mes 16 ans je crois.

J’ai jamais dit à ma grand-mère que je l’avais prise pour une boîte aux lettres. À 13 ans, je savais qu’on ne pouvait dire cela à une femme.

Cette aventure m'a appris une leçon très utile: si tu cours trop rapidement vers une femme, tu risques de tomber sur une boîte aux lettres.
Depuis ce temps, je marche.

mardi 19 octobre 2004

Sharon. Ou Sherryl.

Où je travaille, il y a plein de gens. Beaucoup de jeunes, quelques vieux, et des concierges. Ça n'a pas trop d'âge, un concierge. Parmi les vieux, il y a une femme qui s'appelle Sharon. Ou Sherryl. Je n'ai jamais su. On l'appelle toujours Cher. Toujours est-il qu'elle est une salope de la pire espèce. Elle parle contre tout le monde, fort, avec une voix de mauvaise opérette. Durant les réunions, elle s'arrange toujours pour faire pleurer quelqu'un. Et si ça ne fonctionne pas, elle pleure elle-même. Elle persiste à se croire jeune et porte toujours les vêtements qui lui ont probablement apporté un certain succès auprès des hommes en 1972. Une méchante déguisée en Fanfreluche gothique. Ce genre qu'on retrouve dans tout bon boulot. Unique et éculée. La mienne s'appelle Sharon. Ou Sherryl.

Il y a quelques années, son mari l'a quittée pour une autre, son père est décédé en la déshéritant et sa fille est partie du nid familial en la giflant, tout cela dans la même semaine. Ça l'a à peine ébranlée. Elle semblait se nourrir de ces malheurs et être plus joyeuse que jamais. Rien de pire qu'une salope joyeuse. Mais un jour, Cher est arrivée en pleurant. Cancer. Du sein. Ablation sûre. Les spécialistes croyaient l'opération pratiquement inutile et prédisaient le pire. Même moi, je n'ai pas souri. On ne peut souhaiter cela à personne, même à Cher. Ce fut le bistouri. Contre toute attente, Cher s'est rapidement remise de son opération, et malgré les complications qui auraient sapé n'importe qui, elle est revenue bosser comme si de rien n'était.

J'aurais aimé conclure de belle façon, raconter comment Sharon, ou Sherryl, est devenue une bonne personne ou ma meilleure amie. Ce n'est pas le cas. Elle est revenue plus courbée, plus grise et plus salope qu'avant, avec cette absence de compassion qu'ont souvent ceux qui ont tutoyé le pire.

Je me suis toujours demandé pourquoi elle s'était cramponnée de la sorte à une vie sur laquelle elle a toujours craché. Il y a des gens qui s'accrochent, qui ne savent pas quand passer l'arme à gauche, et qui font de la vie une mauvaise habitude, comme se ronger les ongles et cracher ses rognures sur le tapis.

lundi 18 octobre 2004

Attention, je vous écoute...

«Ce gars-là a l'air d'un Cheap 'n' dale.»
Véronique Boily

Les Rideaux de Trouville

Je suis né à Trouville. Mon monde pendant longtemps. Petit mais mien. Trouville la géante avec son «15 cennes», sa bibliothèque municipale sur deux étages, sa polyvalente qui se vidait de ses élèves aux temps des récoltes et des semailles. Trouville l’industrielle avec son silo Co-op et son ruisseau dont l’eau changeait de couleur à chaque jour. Trouville la cosmopolite avec sa famille de Témoins de Jéhovah (dont le père était noir - Wououuuu...) et sa famille de Viet-Namiens fraîchement débarquée de son boat people. Trouville la pure avec son église qui se prenait pour une cathédrale et son bar de danseuses déguisé en vieille gare dont le stationnement était rempli de Harley arrogantes, intouchables; des crachats bruyants sur un parvis d'église recouvert de tapis gazon.

Tout cela était joli et avait laissé somnolente ma méfiance. Tout le monde il était gentil, tout le monde il était beau. Mais à Trouville, comme trop souvent ailleurs, on n’aime pas les rats de bibliothèque crédules et réservés. Surtout s’ils ne sont pas bons au hockey. Je n'ai jamais été bon au hockey. Encore aujourd’hui, on me fout dans les buts, sans patins. Dans la cour d’école, les pires vacheries ont commencé à gicler. À Trouville, on admire ceux qui mettent de l’eau de javel sur le pneu arrière de leur moto sport et qui font un show de boucane sur la rue principale. Moi, j’avais un mustang siège banane tires balloune. On me parlait de moins en moins, on me souriait de plus en plus. Et on faisait des grimaces à mon dos. Le bonheur devenait une goutte de mercure.

À l’âge de 13 ans, ma famille a dû déménager à Banlieuebourg. Parce que notre maison était trop petite pour accueillir ma grand-mère Mignonne (grand-maman mesurait 4 pieds et 8, c'est vous dire comment notre maison était petite!) et parce que l’époque avait eu raison du magasin général que tenait mon père. Sans le savoir alors, ce déménagement m’a un peu sauvé la vie. À Banlieuebourg, personne ne me connaissait. Je pouvais y être qui je voulais, voire n’importe qui, voire moi. On mesure mal le bonheur de pouvoir être n’importe qui. De toute manière, à 13 ans, n’importe qui n’est jamais aussi n’importe qui que ça. N’empêche que ça faisait du bien. Et le temps de devenir n’importe qui, j’ai déménagé à Montréal. Je suis resté accroché là. Malgré la Laponie et l’océan.

De Trouville, j’ai gardé cette fascination pour les églises, les Harley, les champs qui brûlent après la récolte, les horizons saskatchewanesques et les Bob Morane. J’ai aussi gardé un peu de rancoeur pour les shows de boucane et les gentilles gens, tout sourire dehors, qui vous épient derrière leurs rideaux en racontant les pires saloperies au téléphone.

On n’a pas idée du nombre de personnes qu’on tue en les épiant derrière les rideaux.

mercredi 13 octobre 2004

Le Vent dans les cheveux

9h. Il faisait froid. On a commencé à descendre des boîtes sur le trottoir. La vente de garage s’installait. Déjà, des voisins sortaient de leur tanière pour venir reluquer les aubaines; un tas de vieilleries, des cadeaux reçus qu’on garde malgré tout et malgré le bon goût, tous les trucs en double depuis que Dame V. et moi cohabitons. Exit la vieille télé, le toaster en double et les poêles rouillées. Exit aussi les vieux ustensiles et ma vieille vaisselle achetée il y a 18 ans dans le quartier chinois avec mon argent gagné chez McDo. À chaque morceau vendu, à chaque trente sous en plus, c’était un peu l’indépendance de chacun qui s’effritait. Désormais, en cas de coup dur, le ciment du trottoir servirait de tapis pour amortir la chute.

Le temps s’est à peine réchauffé durant la journée. On tenait nos tasses de café comme les rois mages tenaient l’or, l’encens et la myrrhe. Les amis sont passés nous dire bonjour, comme des badauds qui donnent des verres d’eau aux marathoniens le long du parcours. Les tables se vidaient lentement de nos souvenirs, et à chaque petit coup de vent, l’arbre devant chez nous emplissaient de ses feuilles jaunes nos coupes de vin démodés et nos chaudrons bosselés. Jusqu’à 16h, les gens ont tâté des fonds de boîtes en marchandant des bouts de nos vies, en croyant faire la bonne affaire en payant 3,75$ ce qu’on affichait à 4$. Du petit bonheur à 25 cennes.

Le jour de la vente de garage, j'ai regardé partir un tas de vieux trucs auxquels je m'étais accroché lors de ma derrnière rupture, comme autant de petites bouées de sauvetage maintenant inutiles. Un peu plus et, à chaque vente, je leur envoyais la main. Ce jour-là, j’ai vendu mon assurance-accident pour une poignée de dollars. Curieusement, depuis, je me sens rassuré. Comme quoi les assurances, ça inquiète parfois plus que ça rassure.

C’est pour ça que je fais du vélo sans casque; je roule la tête fragile, mais le coeur serein, le vent dans les cheveux.

mardi 12 octobre 2004

Superman est mort

Est-ce que nous sommes enfin devenus adultes ou est-ce que notre cause est maintenant tout simplement extrêmement désespérée?
Soupir et rot.

lundi 11 octobre 2004

Un Flou

Sur le mur de ma chambre, il y a mon portrait. Une photo en noir et blanc. Une photo en gris, en fait. Petite. De la grandeur d’une carte postale. C’est moi. Plan américain. Cette photo date de quelques années. Un temps certain. Derrière moi, on ne sait pas trop. On distingue mal. Peut-être des meubles, peut-être des boîtes, peut-être qu’on s’en fout. Sur cette photo, j'ai le corps très net alors que mon visage se trouve hors focus, flou, pas sûr du tout. Pourtant, il semble que j'y parais bien. Tout le monde m’y reconnaît. Ça m’a toujours amusé.

Mais ce matin, comme ça, en tombant face à elle comme à tous les matins, ça a commencé à m’inquiéter. Pour rien. De même. J'avais pourtant plein d’autres trucs à faire. C’est bête comme ça, l’inquiétude. Ça arrive et ça colle à nous comme une mauvaise odeur. Comment puis-je avoir le visage si peu clair? Comment mon corps peut être si sûr de lui alors que les contours de ma tête se confondent avec le décor? Pourquoi tout le monde m’y reconnaît quand même?

C’est con les points d’interrogation quand ça invitent leurs amis.

Bruges en automne

Il y a des jours comme des lits trop confortables, qu’on voudrait laisser défaits. Il y a des jours comme ce jour-là où le soleil s’est levé sans replacer les draps. Marc a ouvert les volets de sa fenêtre. Il pouvait voir un des moulins à vent qui bordaient la ville. Dehors il faisait suffisamment chaud pour en rester un peu surpris, pour ouvrir son manteau et sourire. Malgré novembre. Malgré l’absence de feuilles dans les arbres. Malgré les corneilles. Bruges avait l’air de ce dont elle a toujours l’air, même quand l’automne se prend pour l'hiver: d’une carte postale. Les rues n’étaient foulées que par des touristes amoureux et quelques enfants qui criaient en flamand. C’était beau. Juste beau. De ce beau qu’on dit tout bas, pour soi, à l’orée de la lune. Beau. Un couple s’est embrassé avec tendresse sous son balcon. Ça lui a rappelé qu’il n’appartenait plus à ce monde.

C’était novembre mais ç'aurait pu être mars, le soleil brillait et le lit était trop confortable. Pour visiter Bruges, il faut être amoureux ou avoir une carabine. Marc n’avait ni un ni l’autre. Il voulait mourir.

Il a plié bagages et il est parti à Bruxelles, où les meurtres sont plus rares et les lits moins confortables.

dimanche 10 octobre 2004

Il est reviendu

Je savais bien qu'Alexandre ne serait pas capable de se la fermer bien longtemps.
Et c'est tant mieux pour nous autres!
Le plus québécois des Français.

samedi 9 octobre 2004

Histoire d'ouvertures

Dès le début, tout est fermé
On doit ouvrir la voie
Ouvrir les yeux car il le faut bien
puis on ouvre la bouche
pour enfin crier.

S'ouvre le monde, s'ouvre l'appétit
On ouvre les yeux et on ouvre l'oeil
On ouvre un livre car il le faut bien
On ouvre son esprit et s'ouvre parfois une lumière
On ouvre la bouche
pour répéter, pour fermer sa gueule puis riposter.

On ouvre la main, on gifle Sophie
On ouvre la main, on tire Nathalie
Puis on ouvre les bras, son coeur et ses draps
Parfois on ouvre tout ça dans d'autres sens car on ne sait trop bien
Mais on finira par ouvrir la bouche
pour embrasser
pour embrasser
puis bailler

Parfois on ouvre trop grand, parfois pas assez
On ouvre une porte qui reste coincée
Puis on ferme la bouche
pour ouvrir les vannes
pour s'ouvrir les veines.

Si un jour je me la ferme
vous saurez.
Mais d'ici là, je l'ouvrirai.

Pas excusables

Nous disons pardon, nous disons s'il vous plaît
Nous disons vous mais il ne faut pas dire nous
Nous espérons dire oui, nous chuchotons un non
Nous disons merci et nous nous traitons de con
pour ne pas soulever de poussière.
Nous sommes propres propres.
Nous nous dirons que nous ne sommes pas si mal après tout
et nous taperons derrière la tête des enfants
qui osent faire une grimace
parce que c'est pas fin
parce que ça ne se fait pas
parce qu'il y en a tout de même 3
qui ne nous ignorent pas...

Nous avons des excuses pour tous les autres,
surtout pour eux,
jamais pour nous.

Nous ne sommes pas excusables.

jeudi 7 octobre 2004

Chaude recommandation

Je sais pour l'avoir déjà lu qu'il sert des vers comme il sert des verres, qu'il use du jeu de mots telle une Roumaine de 12 ans use de la poutre, qu'il aboie du verbe jusqu'à la lie.
Jean-François Domingue
Léger et dense.
Valseur sûr.

mardi 5 octobre 2004

Soir de mégot

Derrière des vapeurs d'alcool, J. s'est maladroitement allumé une cigarette dans un clic métallique propre aux Zippo. Dès qu'il a voulu la prendre entre ses doigts engourdis, ses lèvres l'ont échappée. J. a soupiré puis est descendu de son banc pour la ramasser. Les bancs sont hauts à cette heure. J'ai pris une gorgée de bière en l'attendant. Puis deux.
Il ne remontait pas.

Au moment où je commençais à m'inquiéter, il est réapparu, l'air content. Il s'est rassis. Entre ses lèvres, un mégot éteint. En regardant dans le goulot de ma bouteille, je lui ai dit:
- T'avais pas une cigarette toute neuve?
Les yeux mi-clos d'alcool, il a tâté le mégot.
- Câlisse...
Frustration. Déception. Résignation.
- Ah, pis d'la marde!
Sans recracher le bout jaune glané par terre, il s'est allumé une seconde cigarette, toute neuve celle-là.

Grande leçon: quand les efforts n'apportent plus que des mégots éteints, il vaut mieux rentrer.
Mais seulement après une dernière cigarette.

lundi 4 octobre 2004

Avant de me coucher

Des gouttes et des ires,
des doutes et des rires
me hantent et m'habitent,
me tentent et me quittent.

Attention, je vous écoute...

Entendu au restaurant:
«C'est une vraie femme; elle aime le pain de viande.»

Belle époque pour les moches

Au café, jamais les moches n'ont-ils eu autant de plaisir à voir les filles leur tourner le dos que depuis la mode des tailles basses et des strings.

dimanche 3 octobre 2004

En attendant l'accident

Au coin de la rue, on filme une collision automobile.
Tout le quartier est paralysé pour cet accident. Depuis une semaine, on n’entend parler que de lui. Aujourd’hui, on n’a pas le droit de stationner, de marcher, de regarder, sauf de loin. Parce qu’on filme l’accident. Alors que la ville compte 584 963 intersections avec des feux de circulation, ils ont choisi de filmer au coin de ma rue où il n’y a pas de feux de circulation. Ils en ont ajouté. Des faux qui sont toujours au vert. Pour le film. Pour la frime.

Depuis ce matin, des automobiles de cinéma avancent et reculent pour faire et refaire la même scène. Depuis ce matin, une voix crie haut et fort «Trois, deux, un... Action!» Depuis ce matin, on refait passer les mêmes voitures avec les mêmes comédiens au même coin de rue. Et on recommence. «Chéri, t’as passé une belle journée? - Ouaip, j’ai traversé 274 fois la même intersection en Dodge Caravan, dont 137 à reculons. Heureusement que j'ai fait l’École nationale ...» 274 fois la même scène. Peut-être plus, j’ai arrêté de compter après 4. En attendant l’accident. Une collision frontale qui elle, ne sera filmée qu’une seule fois. Question de budget.

J’ai parfois l’impression que je répète aussi les mêmes trucs, inlassablement, en attendant ma collision frontale. Une seule.
Ma vie n’a pas un gros budget.