samedi 30 avril 2005

Jean-Pierre parle finnois

Jean-Pierre parle finnois. Un peu normal étant donné qu'il a vécu cinq ans avec une Finlandaise, Mirja, une jolie blonde qu'il avait fiancée un jour humide de juin. Il a appris la langue par amour, pour comprendre à quoi Mirja rêvait quand elle parlait dans son sommeil, pour savoir ce qu'elle disait de lui à ses amis au téléphone. Alors il a appris cette langue pleine de K et de trémas en cachette, avec des petits guides bilingues pour touristes qui désirent trouver l'hôpital le plus proche ou faire un appel à charge renversée.

Après cinq ans d'apprentissage, Jean-Pierre a compris que Mirja ne rêvait qu'à des acteurs américains et qu'elle ne parlait jamais de lui à ses amis. Parler finnois ne lui aura permis à qu'à laisser Mirja sans grands regrets.

Aujourd'hui Jean-Pierre parle finnois. Ça ne lui sert à rien, mais il en est très heureux.

mercredi 27 avril 2005

Carnet de doute

Texte écrit pour le collectif Coïtus impromptus

À six ans, je voulais être pompier. Quand j’ai réalisé que tous les autres gars de ma classe voulaient aussi devenir pompier, j’ai douté. J’ai alors voulu devenir policier. Un jour, pendant une bagarre, je m’en suis pris une sur la gueule. J’ai perdu deux dents et un peu d’estime de moi. J’ai compris que je n’avais pas la couenne d’un policier et que je devais plutôt regarder de loin les coups de poing plutôt que de les absorber avec ma tête. J’ai donc voulu devenir journaliste. J’ai cultivé quelques années le maniement du micro et celui d’un accent français assez amusant, puis la télé régionale m’a assigné mon premier reportage. Ce soir-là, au bulletin de 18h, je couvrais avec baillements l’évolution d’un menaçant embâcle à Laval. Le seul personnage un peu intelligent que j’ai rencontré pendant ce reportage était l’ingénieur qui étudiait la crue des cours d’eau.

Alors, je me suis dit que l’ingénierie hydrographique serait bien. La secrétaire de l’université de Montréal a fait un petit prout entre ses lèvres pincées et a refusé ma candidature parce qu’il me manquait des cours en sciences pures. Peut-être avait-elle raison; je ne me souvenais guère de mes années collégiales sinon pour un cours de cinéma. Alors je me suis dirigé vers le cinéma. Pour devenir réalisateur, sonorisateur, costumier, n’importe quoi qui créerait du rêve. Mais dans ce rêve, il me fallait apprendre des termes anglais se terminant par «euw», et surtout apprendre à me les faire crier par un gros Américain épilé à la cire. Rapidement écoeuré, j’ai admisnistré une leçon de bienséance à Stephen moron Spielberg, puis j’ai quitté le métier.

Je suis resté quelque temps sur le divan de mon salon à douter de ma réelle valeur quand la banque qui m’avait fourni joyeusement mon prêt étudiant s’est mise à appeler avec de plus en plus d’insistance.

Pour me cacher des créanciers qui s’impatientaient, j’ai fui en Abitibi couper des arbres. Après quelques mois de coupe à blanc et d’immenses remords, je me suis enchaîné à un arbre pour protester. La compagnie a choisi d’ignorer mon geste. J’ai survécu en léchant le tronc de l’épinette jusqu’à ce qu’un granole un peu perdu et pas mal stone me libère de mes chaînes. J’ai quand même suivi mes idéaux et je suis allé travailler sous la table dans une salle obscure où je triais le contenu des bacs de recyclage pour en faire du papier cul. Mais, malgré la mode verte, les gens ne voulaient pas s’essuyer avec du papier brun. Alors on m’a relégué aux bouteilles de verre.

Là, ça n’allait pas mal. Il fallait cependant être vigilant, ce que je n’étais pas souvent, et je me suis coupé les doigts un à un avec le verre cassé des pots de mayonnaise. Je m’en étais coupé six au ras la paume quand mon patron s’est rendu compte que j’étais de plus en plus gauche et que les doigts de mes gants de caoutchouc étaient mous. Il m’a foutu à la porte sans même reprendre les gants.

Aujourd’hui, j’ai 42 ans. Je quête des sous devant la caserne 34. Mais comme il me manque des doigts, les pièce de monnaie tombent souvent par terre et je passe mes journées à me les faire piquer par un petit morveux qui me colle au derrière comme la gomme à mâcher aux poils des fesses. Les employés de la caserne d’en face rient de moi et passent leur temps à frotter de rutilants camions, à jouer avec des chiens vaguement intelligents, et à siffler des filles trop grosses pour leur t-shirt, flattées d’être ainsi remarquées par des hommes chaussés de caoutchouc.

Aux dernières nouvelles, aucun de mes amis du primaire n’était devenu pompier; ils étaient tous ou douaniers, ou cons.
J’aurais dû faire pompier.

lundi 25 avril 2005

Attention, je vous écoute...

«Tu frottes ça comme si c'était la lampe d'Ali Baba.»
Véronique Boily

samedi 23 avril 2005

La Vie de Philipilna

Texte écrit pour le collectif Coïtus impromptus (texte devant se terminer par Il n'aurait pas dû.)

Philipilna a trente ans. Elle est célibataire et sans enfant. Cet état des choses, à Montréal, ne commande pas encore la panique. Ces parents par contre, immigrés d’Inde il y a près de vingt ans, ont encore la tête, le coeur et les valeurs à Pondicherry. Pas un jour sans qu’ils n’appellent Philipilna pour lui rappeler qu'elle est indienne et que ses ovaires s’assèchent. Il est où ton sari? Il est où ton mari? Il est où le point rouge sur ton front? Il est où ton sentiment d’appartenance à ta culture? Il est où notre petit-enfant? qu’ils demandent tout d’un trait, sans prendre leur souffle, en pleurant toutes les eaux du Gange, pas tant par désespoir de voir mourir l’Inde que par espoir de voir naître une culpabilité chez leur fille.

Et ça porte fruit. Tous les jours, Philipilna raccroche le combiné et écoute son utérus faire tic tac tic tac. Puis, un soir où l’horloge se montre particulièrement assourdissante, dans un acte qu’elle juge elle-même lâche, elle s’inscrit via Internet à Indi-contact pour y trouver mari. Dès la fin de semaine suivante, elle a déjà plusieurs rencontres à l’agenda: Vijay, Chugtai, Padu, Vipin, Shamshool, Ganapathy et Sampath. Elle n’a pas pris la peine de répondre aux Gilles et aux Sean en mal d’exotisme.

Dans un café près de l’université où elle travaille, elle cache tant bien que mal la liste de noms sur ses genoux pendant qu’elle rencontre les candidats à la paternité comme d’autres rencontrent des candidats au poste de commis. Mais aucun ne sent bon le cari et l’encens. Tous sont des marchands de tapis en mal d’argent et de pouvoir, tous veulent faire plaisir à maman Sighn, à maman Patel. Derrière elle, la musique d’ambiance est de plus en plus assourdissante.

À chaque rencontre, Philipilna raye le nom de l’homme rencontré dans son carnet. Philipilna raye d’abord Sampath. Puis elle raye Shamshool. Puis Ganapathy. Puis Vipin. Chaque fois qu’elle raye un nom, elle sent le coeur de sa mère se fissurer. Philipilna ne veut pas prendre mari à tout prix. Puis elle rencontre Vijay. Elle raye Vijay. Elle rencontre Chugtai, elle raye Chugtai.

Il lui reste alors vingt minutes avant le dernier espoir. Padu Patel. Tout ce qu’elle sait de lui, c’est qu’il a cinquante ans, qu’il est traditionaliste et qu’il bredouille un mélange d’hindi et d’anglais presqu’ incompréhensible. Philipilna se dit qu’avec lui, elle ne pourra plus travailler, sauf à la maison, avec un balai et un plumeau. Et encore, s'il n'engage pas une bonne pakistanaise.

Tout à coup, sa vie sans homme ne lui paraît plus si triste. Philipilna se dit que ses parents pleureront sans doute, mais qu’elle veut vivre à sa façon. Alors elle se lève de table, paye ses onze cafés et sort. Le soleil est curieusement bon et chaud pour ce mois d’avril. Avant d’affronter sa vie à elle, elle regarde son carnet de rendez-vous. Et, avec sourire et grande libération, Philipilna raye Padu.

mardi 19 avril 2005

Duel sur l'autoroute

Ce matin, je roulais à 120 vers le travail. Rien ne pressait pourtant, mais la moto semblait avoir trouvé l’hiver très long.

Je suivais depuis quelques moments une de ces voitures-camions qu’on excuse par l’arrivée d’un enfant (à 2 enfants, je pardonne. À 4, je suis près de contribuer financièrement même si je ne connais pas les parents. Mais 1? Menfin.) Toujours est-il que dans la boîte de tôle huit cylindres devant moi, il y avait un monstre au sourire troué qui me regardait avec fascination. Je lui ai fait un salut de la main. Il n’a pas répondu. Petit con. Je lui ai donc fait une grimace. Il s’est caché jusqu’aux yeux derrière le dossier de la banquette, puis, sans prévenir, il m’a tiré une balle avec son index. Bang!

Merde! J’étais touché à l’épaule droite! Je ne pouvais laisser ce scélérat impuni. Il n’était pas vrai qu’un jeune gosse de banlieue aurait si aisément ma peau. Malgré la douleur, malgré le sang que je laissais par litres sur l’autoroute, je me suis penché sur mon réservoir. J’ai flatté les flancs de ma vaillante Honda puis j’ai accéléré. Arrivé à la hauteur de la camionnette, j’ai visé, un œil sur la route, un autre vers la cible. Bang! Bang! La fenêtre arrière a éclaté mais le petit monstre a ri, toujours indemne. Il a riposté. Ma moto en a pris une dans le radiateur. Elle a boucané aussitôt. Laisse-moi pas tomber, ma vieille…

Pour me fuir, la camionnette a signalé son intention de prendre la prochaine sortie. Je devais faire vite sinon je les perdrais. J’ai visé minutieusement. Un buisson sec a traversé l’autoroute en roulant. Close up sur mon œil à moitié fermé. Mon doigt tremblant sur la gâchette. Son plaintif d’harmonica. Bang!

Touché! Mon ennemi a laissé tomber son arme puis a mimé une mauvaise agonie pendant cinq bonnes secondes avant de disparaître derrière le banc du chauffeur. J’ai vu son père, le regard menaçant dans le rétroviseur, lui ordonner de se calmer. Puis, comme la camionnette s’éloignait lentement dans la voie qui menait à un boulevard quelconque, mon ennemi m’a fait au revoir de la main en riant. Salut cowboy! Intérieurement, je lui ai juré que la prochaine fois, je viserais son père.

Ce matin, pendant mon cours, j’ai passé mon temps à me masser l’épaule en souriant. Il y a des blessures qui font du bien.

lundi 18 avril 2005

Nouveau thème de la semaine

Cette semaine, toujours un texte à écrire sans thème imposé. Cependant, votre texte devra obligatoirement SE TERMINER par:
Il n'aurait pas dû.

Envoyez votre texte ici avant le dimanche 24 avril, 20h (Mtl). Les textes seront affichés .

Subjonctif imparfait, ou extrait de vie d'un étudiant qui attend sa bourse

Texte écrit trop tard (donc pas soumis!!) pour le collectif Coïtus impromptus (thème de la semaine dernière)

Je me penchai doucement et je collai l'oreille à la porte du bureau quelques secondes, jusqu'à ce que j'ouïsse le directeur du département, venu tôt pour l'occasion, et que je susse sa bourse enfin accordée. Les yeux au ciel, je pus enfin soupirer d'aise: j'étais l'heureux élu.

jeudi 14 avril 2005

Aphorisme

Les textes, tels des malfrats, ne chérissent l’honnêteté qu'une fois condamnés.

Prendre sa place (ou conne préhension)

Prendre un verre
Prendre son temps
Prendre un coup
En caisse

Se faire tendre
Pour se faire prendre

Comment
Prendre son pied
Sans perdre pied
Pourquoi
Se prendre la tête
Sans perdre la tête

S'engendre l'effroi
Prendre le large
Pour en chambre
Prendre l'étroit

Dépendre de
puis me déprendre de
Sans trop prendre de
temps
Car on t'attend tendre
Le temps ne sait attendre
Je me sens
fendre

J'entends satan
Me prendre la main

Pour ne pas
m'en prendre à toi
je dois
prendre sur moi

Je me tends
Latent
Me détendre
Pas me pendre
Pas me prendre
pour tant

Pourtant
À tout prendre
qu'est-ce que cent ans
J'attends d'entendre
Sans encens
Des temps sans cendres

Je t'en veux tant
Et t'en vaux si peu.

mercredi 13 avril 2005

Attention, je vous écoute...

«La laveuse à la buanderie est pleine de pudeur.»
Virginie Larivière

lundi 11 avril 2005

Aphorisme

Curieux ce réflexe que j'ai toujours à l'ordinateur d'effacer le moins de lettres possible quand je corrige les mots mal orthographiés. À chaque fois, j'ai l'impression d'éviter du gaspillage.
C'est idiot, mais quelque part au fond de moi, je me plais à croire que si dans dix ans il me reste encore quelques lettres à mettre sur les écrans, ce sera un peu à cause de ça.

Attention, je vous lis...

«Si t'inventais pas faudrait que je t'existe.»
Catherine Voyer-Léger

Le Thème de la semaine du collectif


Imparfait du subjonctif

Envoyates votre texte à : coitus_impromptus@yahoo.ca avant le dimanche 17 avril, 20h (heure de Montréal)
Les textes recevûmes seronssîrent affichiasses sur la page de Coïtus Impromptus.

vendredi 8 avril 2005

Réserve indienne

Texte à double personnalité - Texte à deux plumes écrit avec Julius Rosenburger pour le collectif Coïtus

Tna Vuom-Méthot n’avait presque jamais douté de ses origines vietnamiennes. Ses parents l’avaient adopté alors qu’il rampait à peine. Tna connaissait l’histoire par cœur.

Sa difficulté à s’intégrer aux autres membres du Club Amical des Viets de l’Estrie avait semé le doute identitaire qui terrasse et marque, dans le fond de l’âme, le passage obligé de l’adolescence nord-américaine. La confirmation vint lorsque, dans le miroir simili victorien de sa chambre, Tna lut in reverso, côté cœur, un collant apposé sur sa veste des suites d’un colloque insignifiant. Lequel collant arborait fièrement son nom. Ainsi l’évidence lui était dévoilée dans toute sa véracité : il était amérindien d’origine.

* *

Aujourd’hui, Totem Mouvant est devenu acteur et fait des annonces de produits naturels depuis son Dakota natal.

lundi 4 avril 2005

Amitiés, amours et autres mécaniques

Accoudés devant quelques pintes, Tristan, Jean et moi jasions d’huile et de tôle comme des experts lobotomisés. Motos, bazous, F1, on avait des solutions pour tout. L’heure tardive et les vapeurs de houblon aidant, nos limpides verdicts mécaniques tranchaient de plus en plus sur la grandissante obscurité de notre terminologie. Vers les 2h30, il ne nous restait plus que quelques «truc», «chose» et autres «patente» pour nous exprimer. Avant de ne plus être capables de se comprendre, on s’est tu quelques instants. C’est Tristan qui a coupé le silence.

- Caroline et moi, on se sépare.

J’avais les mains qui réchauffaient ma bière. La vie avait une haleine de fin de soirée. Jean et moi avons eu une brève pensée pour nos fins du monde respectives. Tristan nous a tout résumé. Dans ses yeux, il y avait cette fierté qu’on attribue habituellement aux guerriers épuisés, aux rois déchus et aux forteresses anciennes, mais on pouvait entendre les termites qui rongeaient la charpente. Il y a pire que voir un ami pleurer; il y a le voir sourire quand on sait qu’il pleure dès qu’on a le dos tourné.

Avant de mettre mon manteau, je l’ai serré dans mes bras. Un chat qui console un tigre.

- Prends soin de toi, Tristan. J’t’aime b’en, tu sais.

En partant du bar, le taxi a laissé derrière lui un petit nuage bleu qui a mis quelques secondes à se dissiper. Du truc qui coule de la patente, sans doute.

Nouveau thème

Le thème de cette semaine pour le collectif:

Totem mouvant

Envoyez votre texte à : coitus_impromptus@yahoo.ca avant le dimanche 10 avril, 20h (heure de Montréal)
Les textes reçus seront affichés sur la page de Coïtus Impromptus.

Un Message du vatican

Nous embauchons!

(blague de Martin Bernier)