lundi 28 février 2005

La Promesse des rails

Éric a fait le tour de Bruges sans y penser, tel un chien sans odorat, à la manière de ces turbo-touristes à forfait «douze villes en une fin de semaine». Une heure trente. Peut-être moins. Gare, prison, moulin, boutique de dentelle, bistro et pinte de blanche parce que ce serait sacrilège sans. C'était partout beau à rendre malade. Il a essuyé sa moustache de bière et est revenu à la gare en se faufilant entre les 15843 vélos du stationnement. Ce jour-là, il aurait voulu voir Aryane. Mais il fuyait, il coulait. Depuis des jours, des hyènes lui grignotaient le coeur.

Il a consulté l’horaire des trains du côté flamand. De toutes manières, même en français, il ne comprenait rien depuis des mois. Le prochain train pour Bruxelles passait dans quarante minutes. Il s’est assis sur un banc du quai, au bout de la voie, le bout par lequel il croyait que le train arriverait. Il a regardé l'horloge. Encore trente-neuf minutes. Il était dans une des plus belles villes du monde, il faisait beau comme c’était interdit en Belgique, et Éric tuait du temps à mains nues en regardant des voies ferrées faire semblant de se rejoindre à l’horizon. Les rails font des promesses qu'ils ne savent tenir.

Sur un banc à sa droite, des amoureux s’embrassaient. Ils n'entendaient pas les hyènes rigoler tout près.

vendredi 25 février 2005

Invitation générale!

À tous les intéressés, blogueurs ou pas!

Écrivez un texte ayant pour thème

La Fascination du pire


Contrainte: aucune!
ni en genre
(poésie, biscuit chinois, nouvelle, histoire vécue, chèque personnel à mon nom, etc.)
ni en longueur
(10 mots, 1000 mots... Personnellement, je suis de cette génération qui zappe dès que le texte est plus long que deux écrans, mais bon...)


Envoyez votre texte à Catherine à l'adresse suivante:

voyerca@videotron.ca

avant le dimanche 6 mars, 20h (heure de Montréal)

Ceci n'est pas un concours. Juste du gros plaisir de lire nos créations.
Les textes seront affichés ici.

Voilà, c'est parti!

Attention, je vous écoute...

Lapsus qui en dit long (changez le o pour un p):

«Il faut que j'envoie mon manuscrit de thèse afin qu'il soit oublié.»
Katri Suhonen

mercredi 23 février 2005

Grossièreté-lé

Presque toutes les semaines, je vais faire un tour au Lion d'or voir les comédiens de la LIM (ligue d’improvisation montréalaise). Habituellement, je note un des thèmes d’improvisation, question de me mettre au défi. Puis, dès que j’ai deux minutes, je ponds un petit texte en lien avec ce thème. L’Homme des banalités était un de ces thèmes. Cette semaine, j’ai pris en note: La Fascination du pire.

Pour l’instant, je vous avoue être trop absorbé par l’émission de télé-réalité américaine où des gros doivent maigrir le plus rapidement possible pour écrire quoi que ce soit. Mais je vous jure, dès que je sors de mon ahurissement, j’écris un texte. En caractères gras.

mercredi 16 février 2005

Aphorisme

Parfois, quand quelqu'un meurt, ce sont les autres qui reposent en paix.

Trois minutes de poésie

Hier soir, j’ai passé quelques heures à la Casa del Popolo. Soirée Shift de nuit, animée par un Tony Tremblay maître de cérémonie et de la situation, qui nous prévenait d’entrée de jeu que «c’est noyés que nous mourrons». On était avisés. Il était 23h.

La règle était simple : chacun a trois minutes de micro. Moins long que pour la plupart des hits radio. Trois minutes pour faire valoir sa voix d’Amérique, pour faire sentir sa prose, pour clamer sa poésie à une salle qui essayait de tout saisir. C’était malheureusement sans compter sur Boisvert, le vieux poète qui, maintenant parvenu à la reconnaissance générale, se foutait de tous en parlant plus fort que les trois minutes de micro, en n’écoutant personne, en éructant des bêtises et en échappant son alcool sur ceux qui essayaient d’écouter. C’était sans compter sur cette faune qui toisait quand on lui demandait un peu de respect pour celui ou celle qui tremblait un peu de nervosité au micro, qui n’avait que trois minutes pour crier ses mots. Au travers le brouhaha, on a entendu Vaillancourt marcher dans sa poésie avec des bottes hautes, Marie-Sissi Labrèche lire vite vite, à la course, en un souffle court, un bout de son troisième roman, et Shawn Cotton danser sur ses mots avec un plaisir évident. Puis des trois minutes de tout et son contraire, des trois minutes suaves, des trois minutes imbuvables, des émules claudicants de Francoeur et Duguay, d'autres uniques et sans pareils.

Hier soir, j’ai passé plusieurs dizaines de trois minutes à la Casa del Popolo. Des trois minutes où des créateurs lançaient leurs mots choisis dans une mer de mots anodins, n’importe lesquels, que se lançaient vaniteusement quelques caricatures de poètes sans écoute venues faire acte de présence. C'est pourtant une bonne idée que ce Shift de nuit. Il parait que samedi dernier, c’était du plaisir pur. Hier soir, j’ai malheureusement passé trop de trois minutes à rager contre des poètes qui écrivent bien mais écoutent mal. Comme le disait Jean-François Domingue : «Il y a beaucoup d’amants de la langue, mais très peu de maîtresses de l’oreille

Mais j’apprends pas vite et j’y retournerai. Parce que trois minutes, c’est court et parfois très bon. Et contrairement à leur poésie, les vieux poètes irrespectueux finissent immanquablement par mourir.

lundi 14 février 2005

L’Homme des banalités, première partie

Je suis né dans une maison située tout juste après la voie ferrée, en sortant du village. Les trains du CN qui y passaient empêchaient tous les non-indigènes de dormir. Même la gardienne, qui ne venait pourtant pas de très loin, se réveillait en sursaut quand le métal des roues du train frottaient l’intérieur des rails. Moi je ne tournais même plus la tête. Certains ont les vagues de la mer, d’autres les chevreuils ou une autoroute. J’avais les trains et le sommeil lourd.

Je suis allé à l’école Notre-Dame-de-Fatima où il m’a fallu 3 ans avant de savoir épeler infirmière. Puis un jour, pendant une dictée, entre deux gouttes de sueur, je l’ai bien écrit. Ce jour-là, je n’avais pas grillé de fourmis avec ma loupe dans la cour de l’école.

Près de l’école, il y avait une bibliothèque. J’y dévorais les Buck Danny et les Michel Vaillant, j’y rêvais d’engins qui filaient à vive allure. Et il y a eu les scouts, les badges, les coups de griffes. Et tous les samedis, j’allais nager. Comme un poisson, disait mon père. Je disais rien, mais ça avait pour moi un goût de podium olympique.

Ensuite, on est déménagés. Pas fâché. Dans la nouvelle ville, dans notre nouvelle maison, je dormais dans une chambre pas encore finie au sous-sol. Chaque soir, en écoutant Just an Illusion à la radio, je regardais le bois du plancher du salon comme je regardais les grands et plus tard les jupes des filles, par en dessous. On y avait imprimé une date : 13 mars 1982. Dans ma nouvelle maison, les feuilles de bois avaient des dates de naissance. Puis il y a eu les emplois au McDonald, à la station-service IGS, au centre culturel Fernand-Charest. Des emplois tout petits dont je me lassais vite mais qui m'ont permis d'acheter les disques de Simple Minds et une moto en acier.

Un jour, je vous raconterai le reste, mais je vous avertis, c’est assez banal. Je tiens seulement à préciser qu’aujourd’hui, la voie ferrée du village de mon enfance n’est plus utilisée depuis longtemps; les trains n’y réveillent plus personnes, et les rails rouillent.

lundi 7 février 2005

Histoire de pêche illustrée

Samedi matin, nous revoilà sur la glace de la rivière des Outaouais en train de branler de la brimbales, tasses de café Ti-Motton à la main, comme de vrais Canadians.

Autour de nous éructait une faune de pêcheurs tout droit sortis du camping Ste-Madeleine (pour ceux qui ne connaissent pas cet endroit bucolique, le camping Ste-Madeleine – le québécois, pas celui sur la Côte d’Azur - est situé en pleine campagne, et a pour principaux attraits ses nains et ses biches en plâtre, en plus d’être à trois enjambées de l’autoroute la plus près. Le bruit incessant de la circulation donne aux campeurs la joyeuse impression d’avoir étendu leur sac de couchage au centre de la route). Ainsi, sur la rivière, c’était le festival du 4 roues sans pot d’échappement, de la motoneige jaune criard et des enfants chaussés de mini-skis que l’on tire derrière le 4X4 d’oncle Gilles, une musique vaguement country suintant visqueusement des fenêtres ouvertes. Ça rassure sur la race humaine, j’vous dis pas.

À la fin de la journée, malgré le tournoi de fers sur la glace des voisins, nous avions sorti une vingtaine de bêtes de l’eau. Comme nous étions tous de vrais pêcheurs, on rejetait tout ce qui n’était pas perchaude ou doré. Nous avons ainsi rejeté une bonne quinzaine de gros poissons en forme de lune qui rappelaient vaguement le crapet soleil. Pas perchaude? Flouch!

À la fin de la journée, après avoir remis toutes nos prises à l’eau (on aime la pêche mais pas au point de rapporter du poisson à la maison... C'est salissant!), nous avons rapporté brimbales et chaudières à la cabane du pourvoyeur. On y a appris que nos poissons-lune étaient en fait des mariganes noires, une espèce à la chair particulièrement délicieuse. Pour résumé le tout, nous avions vécu une pêche miraculeuse et nous l’avions remise à l’eau...

Morale? Souvenez-vous de cette histoire quand vous entendrez l’inévitable parallèle entre la pêche et la quête amoureuse...

dimanche 6 février 2005

Attention, je vous écoute...

Je vous laisse deviner du sujet de conversation...

«Je suis toujours une grosseur de mailloche en dessous.»
Jean-François Domingue

samedi 5 février 2005

Signes des temps morts

Où j’habite, les fous ne cessent de parler du temps qui passe et passent leur temps à demander aux infirmiers s’ils ont l’heure. Les infirmiers n’ont jamais l'heure. Ni le temps d'ailleurs. Alors, les malades n'attendent pas et me demandent l’heure.
-Avez-vous l’heure? Avez-vous l’heure?
Je n’ai pas l’heure. Je n’ai pas de montre non plus. On n’a pas le droit au centre. Il paraît que c’est pour éviter de trouver le temps long. Mais même court, on ne le trouve jamais, le temps. On ne fait que perdre du temps. Et dès qu’on en trouve un peu, on s’applique à le tuer.

Un infirmier arrive avec une aiguille. Je ne sais pas si c’est la grande ou la petite, mais je sais que ça veut dire qu’il est 20h et qu’il est temps de dormir.
J’ai 35 ans et je baille déjà.

jeudi 3 février 2005

Attention, je vous écoute...

(Constatant qu'il ne portait pas sa montre)
«Fini le temps où on avait besoin de savoir l'heure; on sait qu'il est toujours trop tard.»
Didier Lambert

Aphorisme

Ce n'est qu'au lendemain des choses qu'on trouve les bons mots, les beaux gestes. On est tous des génies tardifs et des cons ponctuels.

mercredi 2 février 2005

Marmotte, Dieu et petites filles

Aujourd’hui, la marmotte a vu son ombre. L’hiver durera encore six semaines. Puis viendra le printemps, reviendront les oiseaux. Il y a des hivers plus longs que d’autres et des petites filles qui ont hâte d'enlever leur manteau.

***

Avant-hier, Yvon a fait une chute. Il voulait aider sa fille Annick et son gendre dans leurs rénovations. Il s’est retrouvé à l’hosto, le corps fracturé, craquelé de partout. Mais la chute d’Yvon a surtout fracassé une façade fragile et toutes sortes de saletés longtemps oubliées dans les coins se sont appliquées à congestionner les vaisseaux, paralysant jambes et organes, menaçant cerveau et enfants. Le corps d’Yvon, depuis trop longtemps assiégé, ne pouvait contenir cette soudaine attaque, et la mort s’est glissée entre les tuyaux et les sérums, s’apprêtant à se mettre au lit. Annick pleurait beaucoup; comment? pourquoi tout basculait en si peu de temps? Les médecins, refusant l’irrémédiable, préféraient voir les hasardeux miracles opératoires. Sans véritables espoirs d’esquiver la mort, ils ont demandé à Annick d’accepter opérations, amputations et improbable guérison. Ils lui demandaient d’être Dieu alors qu’elle était redevenue une petite fille qui tenait la main de son père. Annick ne voulait pas être dieu.

Cette nuit, Yvon a abdiqué, et la mort, cette vieille salope, est venue se coucher près de lui. Yvon n’a pas eu à se faire opérer. Annick n’a pas eu à jouer dieu. Elle a pu accompagner son père dans son dernier rêve, et celui-ci est parti comme on souffle sur la flamme d'une chandelle, la main de sa petite fille dans la sienne. Parfois, tenir un enfant par la main réconforte davantage les grands que les petits.

***

Aujourd’hui, la marmotte a vu son ombre. L’hiver durera encore six semaines. Puis viendra le printemps, reviendront les oiseaux. Il y a des hivers plus longs que d’autres, et il y aura toujours des petites filles qui tiendront la main de leur père reconnaissant.

mardi 1 février 2005

Il faudrait tant

Il faudrait que je mange mieux
Il faudrait que je cesse d’acheter du pain blanc tranché
Il faudrait que je mastique mes bouchées plus longtemps
Il faudrait que je fasse de l’exercice
Il faudrait que je boive moins d’alcool
Il faudrait que je boive au moins 1 litre d’eau par jour
Il faudrait que je fasse un peu de ménage dans mes souvenirs
Il faudrait que je trouve une place pour entreposer ma collection de bouteilles de bière
Il faudrait que je recycle mes vieilles piles
Il faudrait que je change l’ampoule de l’entrée
Il faudrait que j’imprime mes feuilles recto-verso en mode écono
Il faudrait que je cotise à mon REER
Il faudrait que je relève le défi une tonne
Il faudrait que je fasse l’amour plus souvent
Il faudrait que je m’affirme plus clairement
Il faudrait que je parle moins vite
Il faudrait que je ferme ma gueule parfois
Il faudrait que j’arrête de me plaindre pour eurrien
Il faudrait que je sois positif
Il faudrait que je mette ma main sur la gueule des prétentieux qui se croient fils de dieu parce qu’ils ont écrit un livre
Il faudrait que je pousse mon cri primal
Il faudrait que je fasse des dons pour toutes les victimes de toutes les vagues
Il faudrait que je regarde d’où viennent les trucs que j’achète
Il faudrait que je fasse du bénévolat
Il faudrait que j’illumine l’humanité de ma vérité
Il faudrait que j’aille au Pérou ou en Afrique ou sur l‘île d’Anticosti
Il faudrait que j’aille vomir dans les chutes Niagara
Il faudrait que je change la litière du chat
Il faudrait que j’appelle mes amis pour rien
Il faudrait que j’écrive mon hostie de roman
Il faudrait que j’aille voir mon médecin
Il faudrait que je me discipline
Il faudrait que je prenne ma douche tous les matins
Il faudrait que j’accepte ma calvitie
Il faudrait que je fasse un enfant
Il faudrait que je plante un arbre
Il faudrait que je renouvelle ma garde-robe
Il faudrait que je baisse mon siège après avoir pissé
Il faudrait que je me passe la soie dentaire régulièrement
Il faudrait que j’aille travailler de bonne humeur
Il faudrait que je cède ma place au petit vieux qui vient d’entrer dans l’autobus
Il faudrait que j’assassine une fois, juste pour voir
Il faudrait que je boive du café déca
Il faudrait que je fasse plaisir à ma blonde
Il faudrait que je vérifie si le billet du médecin de mon étudiant est vrai
Il faudrait que j’inspire par le nez
Il faudrait que je ferme la télé
Il faudrait que je me guérisse de cette cleptomanie
Il faudrait que j’apprenne à ne plus patiner sur la bottine
Il faudrait que j’aille voir mes parents
Il faudrait qu’enfin, je devienne adulte
Il faudrait que je vieillisse
Il faudrait que je reste jeune
Il faudrait que je dorme
Il faudrait faire une liste de toutes ces choses qu’il faudrait que je fasse
Mais j’ai pas le temps
car il faudrait tant.

Comme dans l'temps

Aaahhh... La technologie.
Voilà plus d'une semaine que je vis sans ordinateur à la maison. Plus d'une semaine sans mes courriels du matin. Plus d'une semaine sans écrire de blogue, sans lire les vôtres. Plus d'une semaine que je dois ouvrir la porte pour savoir comment il fait dehors... Je vis comme en 1990! Le bon vieux temps; à l'époque, Michael Jackson, Bush, l'Irak faisaient la une...
Ce matin, je regarde le journal et je me dis qu'en 15 ans, on n'a pas fait tant de chemin que ça.