jeudi 30 août 2007

Au Son

En me voyant entrer, Nicolas m’a salué et m’a pointé un banc libre à son bar.

Je me suis assis. Mon visage long devait en dire autant.

Nicolas est arrivé à ma hauteur. Il attendait le compte rendu. Ça me tentait guère de lui rabâcher la sempiternelle histoire de mes amours décevantes, alors je n’ai rien dit, qu’un salut de la tête. Je pouvais lire un découragé «Encore?!» dans ses yeux.

- Comment ça, «encore»?
- Mais , j’ai rien dit, Mike…
- Bonne affaire. Je prendrais un Macallan, s’il te plaît.
- T’es sûr? Il est pas en spécial ce soir…
- ‘Stie Nicolas, c’est le client qui décide de ce qu’il boit, pas le barman. Où sont passés les bons vieux barmen du temps qui essuyaient les verres sans rien dire pis qui faisaient «hum hum» quand on leur parlait?...

Nicolas ne disait toujours rien ni ne bougeait. J’ai alors répété la commande.

- Un Macallan, por favor…
- …

Il ne bougeait toujours pas, le bougre.

- Bon, qu’est-ce qu'il y a encore?
- Ben, euh… 12 ou 18 ans, ton Macallan?
- ‘Stie Nicolas t’as vu mon humeur? 18 ans est un minimum dans ce genre de circonstances.
- …
- Euh… Oui?
- Désolé de me mêler de ce qui me regarde pas, mais je te connais un brin depuis le temps et… T’as vraiment le portefeuille pour un 18?

Le look qui tue.

Nicolas a mis quelques minutes avant de revenir avec mon scotch. En le posant devant moi, il m'a dit:
- Ok, ok, je dis p’us rien. T'aurais dû te voir... Si t’avais eu des fusils à la place des yeux… Remarque que c’est con comme expression, si les fusils remplaçaient les yeux, tu pourrais pas viser…

J’y serais allé au son.

mardi 28 août 2007

Aphorisme

En réponse à la réflexion de Patrick sur le bonheur...

«La bonheur est une invention du diable pour que les gens se rendent compte qu'ils sont malheureux.»

vendredi 24 août 2007

Je sens que je vais me faire des amis...

Voilà que rentrent les pieds devant les premiers soldats québécois envoyés en Afghanistan et tout de suite, les médias en font leurs choux gras : des unes noires, des manchettes aux traits étirés, des photos des soldats qui posent fièrement avec leur fusil, etc. Je ne sais pas pour vous, mais ça me donne une petite nausée.

Avant qu’on me lance des pierres, je tiens à souligner une chose : j’ai toute la sympathie du monde pour la famille et les amis des défunts.

Là n’est pas la question.

Ce qui me fatigue, c’est cet étalage de fausse sympathie, d’incompréhension générale devant ces morts et, je me lance, cette incapacité profonde d’assumer les conséquences des gestes posés, ou mieux, des gestes qu’on laisse notre gouvernement poser.

Après le décès du premier soldat québécois, on a pu lire dans des journaux que le pauvre bougre «faisait ce qu’il aimait par-dessus tout : servir dans l’armée.» C’est plate, mais l’armée sert lors de conflits, sinon on formerait des secouristes habillés en orange fluo. Et même si le gouvernement parle plutôt de mission de paix, le Canada est en guerre.

On enseigne à des hommes et des femmes à manier des armes à feu hyper puissantes, on les entraîne à ramper sur des kilomètres pour approcher sans bruit des ennemis, on les déguise en fougères (ou en carré de sable pour l’Afghanistan), on leur donne des grenades et des mitraillettes, puis on leur ordonne d’attaquer des repaires ennemis remplis de gens tout aussi armés qu’eux pour défendre des intérêts étrangers.
On s’attend à quoi?
Qu’ils reviennent les bras chargés de paniers de champignons, le sourire aux lèvres?

Si on est contre la guerre, on descend dans la rue, on manifeste, on rue, on crie, on écrit au gouvernement, on déserte l'armée, on fait défection, on vote contre les gouvernements guerriers aux élections. Harper n’a jamais caché ses intentions militaires et personne ne peut jouer les vierges offensées aujourd’hui.

On a pu entendre certains dire qu’ils sont contre la guerre, mais qu’il faille supporter nos troupes. Dans leur version de «supporter leurs troupes», ils avaient oublié que ça signifiait en envoyer certains à l’abattoir… Bonjour le réveil.

Parlant d’abattoir : combien de morts et de blessés du côté de la population locale, des civils afghans? Si le Canada est en Afghanistan en soutien à la démocratie (sic), pour aider la population locale, ce serait intéressant de le savoir.
Meuh non, j'oubliais, on préfère pleurer collectivement des gens qui ont choisi librement d'aller se battre.

jeudi 23 août 2007

Aphorisme

La nuit tombe à la tombée du jour.
Le crépuscule est un point de chute quotidien.

mardi 21 août 2007

L'Autonomie oui, mais demain...

En tant que parent, on souhaite à nos enfants épanouissement, autonomie et bonheur, et la première grande épreuve de cette piste d’hébertisme qu’est la vie est arrivée vendredi matin : la première journée complète de garderie.

Sur le chemin vers son calvaire, j’expliquais à ma fille le pourquoi du quoi de la garderie avec une intonation digne de Passe-Montagne. Après tout, ma fille n’a que quinze mois et que très peu de mots avec lesquels partager son désarroi.

Elle avait beau cueillir des fleurs et courir après les chiens, je n’étais pas rassuré. On m’avait raconté des histoires d’horreur sur les premiers jours de garderie: des garçons qui pleuraient des heures durant au départ de leur mère, des fillettes qui boudaient leur père pendant des jours en représailles à l’abandon ressenti. Personne ne m'avait parlé de suicide ou de mutilation, mais je n'étais pas dupe et me doutais bien qu'on me cachait des choses...

À la garderie, ma fille m’a traîné jusqu’à la salle de jeu où elle est entrée les bras au ciel en s’exclamant de son traditionnel «C’est beau!» (Allez savoir pourquoi, ma fille ne dit ni maman ni papa ni même caca, elle dit «C’est beau!» pour tout, surtout pour les arbres. On écoute peut-être trop de Richard Desjardins…)

J’ai joué avec elle quelques minutes, le temps qu’elle prenne le pouls de la place, puis profitant d’un moment où elle avait l’air particulièrement absorbée et heureuse, je lui ai dit au revoir, je l’ai embrassée et je lui ai promis de revenir vite vite vite. Alors que j’étais sur le pas de la porte, elle m’a souri et m’a fait son salut de reine qui parade avant de retourner à ses jouets…

La porte de la garderie s’est refermée derrière moi avec un petit bruit qui rappelait le son d’une pince qui coupe un filin métallique.

C’est un père fier de sa fille qui a marché vers la maison ce matin-là.

C’est aussi un père qui n’avouera jamais, même sous la torture (menfin, bon, ouais, il le fait ici…), qu’il aurait aimé, quelque part dans le très fond de lui, que sa fille le retienne un peu, juste un peu, en lui tirant une jambe du pantalon…

jeudi 16 août 2007

Dans le Vent


Au lieu de te jeter dans le vide, le ciel t’aspire.
Au lieu de tomber, tu flottes.
Au lieu de t’écraser, tu te poses.

Le parapente est un sport à hauts risques d’addiction.

jeudi 9 août 2007

Les Beaux Plafonds

(Le format s'y prête mal, mais voilà: une longue nouvelle. J'espère que ce ne sera pas trop indigeste sur un blogue.)

La poussée m’écrasait au fond de mon siège. J’aimais beaucoup cette sensation. Elle me donnait l’impression qu’on prenait soin de moi. Par le hublot, la vie devenait ridicule. J’ai pris une automobile entre mon pouce et mon index, j’ai essayé de la retenir et comme elle m’échappait, je l’ai aplatie. Pas un craquements ni de cris agonisants. Légère déception. Le nez collé à la vitre, j’ai tenté de repérer des routes que je connaissais, que j’avais empruntées, que j’avais prises. La concentration m’a manqué, la jauge indiquait Empty. Je me suis perdu dans un rond point de mon esprit. Dans la brunante de plus en plus opaque, Montréal disparaissait déjà et j’y laissais, le temps d’une réflexion, d’une refonte des assises, une relation en forme de points d’interrogation.

Chaque minute était un bilan : il était 18h46, j’avais trente ans, un début de calvitie, une insouciance qui prenait plus de rides que de risques. J’étais peut-être célibataire, sûrement cocu, sans enfants connus, sans raison, sans passion, et pour fuir les plaines qui se dessinaient devant moi, j’avais acheté sur un coup de tête un billet pour la Belgique. Parfois, j’étais un peu con aussi.


***

On était le trente et un décembre 1999, la veille du fameux bogue. J’espérais que ce dernier frappe fort, qu’il fasse mal, qu’il coupe les ailes de mon avion, qu’il sape une fois pour toutes cet arrière goût de fin du monde qui me traînait au fond de la gorge. Mais comment faire confiance à un bogue qui menaçait à la fois de faire partir des missiles et d’arrêter des ascenseurs, de donner cent ans d’intérêts sur les prêts hypothécaires mais de prendre cent ans d’intérêts sur les placements? Les vieux avaient raison : on ne pouvait plus se fier à rien... Les menaces d’apocalypse avaient fait leur œuvre cependant, et d’aucuns évitaient de prendre l’avion en cette fin de siècle aux couleurs de fin des temps. Il y avait peu de passagers sur ce vol transatlantique et ça me plaisait. Pour être précis, nous étions six, tous promus en première classe par gratitude de la compagnie aérienne.

L’agent de bord chargé de l’habituelle chorégraphie de bienvenue a pointé, blasé, les sorties de secours avec les yeux et les paumes au plafond, puis a patiemment attendu qu’on ait le droit de la déboucler pour s’allumer une cigarette. Une femme en tailleur gris s’est tout de suite insurgée contre le geste. D’un ton désinvolte, comme s’il nouait ses lacets, l’agent à l’homosexualité bien déplacardée a expliqué que c’était son dernier vol, qu’il en avait «more than assez de les voyageurs impolites» et qu’arrivé en Europe, ciao-bye chérie, il partait avec le cuistot de l’avion visiter les moulins des Pays-Bas! Alors le tailleur gris pouvait bien hurler, «le travail est much more agréable un cigarette dans le bouche pis le chemise ouvert, surtout quand il faut dealer avec des madames habillées avec une Channel grise complètement out». Et le chemise s’ouvrit sur sa pilosité de ver préadolescent. La dame a promis de porter plainte à plus hautes instances, ce à quoi l’agent a répondu une lente et profonde bouffée d’acide cyanhydrique. J’ai eu une immédiate et vive affection pour cet agent de bord au bord de la décompensation. J’ai déduit de la scène que j’avais aussi le droit de fumer et je me suis allumé une cigarette. Ma chemise se serait ouverte si j’en avais porté une. J’ai plutôt déboutonné mon pantalon et enlevé mes souliers, comme si je revenais libre et détendu d’une plage du Sud-tout-inclus.

Dès mes aises apprivoisées, j’ai demandé un scotch à l’agent de bord. L’aubergiste imberbe m’a versé l’équivalent d’un triple avec le sourire. Docile, j’ai calé le triple avec le sourire. Le goût iodé m’a fait grimacer. Mal de tête assuré. J’en ai redemandé un autre...
Contre toute attente, un passager s’est levé pour venir s’asseoir près de moi. Un gros homme en sueur plutôt quelconque. En s’assoyant, il a entrepris une lente lambada du bassin afin de bien se caler au fond du siège puis a poussé un profond soupir. Une fois bien installé, il s’est tourné vers moi.

- Fous bermettez?

Sans attendre ma réponse, le gros homme a continué :

- Che bréfèrerais m’asseoir brès de quelqu’un bour le temps du fol. Bieille phobie mal guérie, foyez-fous…

Je ne foyais un peu mal au travers cet accent de choucroute, mais je n’étais pas d’humeur à défendre quoi que ce soit, même un territoire. Sans sa veste vert pomme et son tabloïd sportif qui traînait sur ses genoux, ce gros Allemand m’aurait laissé indifférent. Mais je filais un mauvais coton, l’homme me barrait maintenant la route vers les toilettes, j’avais six heures à tuer et très peu de munitions pour le faire. J’ai entrepris de l’haïr. C’était dans mon champ de compétences. Il a sorti de sa poche de chemise un paquet souple de Winston. Juste à le déballer, il soupirait d’effort. Je le sentais déjà. De toutes les odeurs, celles que produisait le corps humain me répugnaient le plus. D’ailleurs, les odeurs qui émanaient des pores, de la bouche et de tous les autres méats corporels m’avaient toujours inquiété. Que contenait le corps humain pour puer autant au moindre orifice? Mon voisin devait se décomposer…

- Fous foulez oune cigarette? dit-il en me tendant une cigarette coincée entre deux bouts de doigts trop courts.

Sans un mot et avec mon sourire de scotch, je lui ai montré la mienne déjà bien entamée.

- Pien sour, oune à la fois. Nous sommes dans oune afion abrès tout!

Il a ri. J’ai fait semblant de ne pas entendre, question de ne pas encourager la poursuite d’une discussion qui me pesait juste d’y penser.

L’homme l’a poursuivie quand même, comme si nous étions pour entamer une fin de semaine de formation sur l’art de se faire des amis. En moins de deux, j’en ai su plus que je ne le voulais sur lui: Franz Brant, enjanté!, entrepreneur-conseiller en décoration, 42 ans, 56 employés, deux maisons, une carte de crédit qui donnait des voyages quand on dépensait beaucoup, fous defriez essayer, ça faut la beine, deux garçons, trois lévriers afghans, une femme. Dans cet ordre. Et moche les enfants; il m’a montré une photo d’eux, tous habillés pareils, regards niais et tout. Depuis son usine en banlieue de Berlin, le gros entrepreneur fabriquait des plafonds à plusieurs milliers de dollars pièce pour les nantis de ce monde.

- Les chens ont tort d’ignorer leurs blavonds. On les regarde touchours, surtout les vammes! À elles, on leur bromet la lune, mais elles ne foient que les peaux blavonds! Quand le blavond est choli, elles se disent qu’elles sont janzeuses et heureuses! Si le blavond n’est pas choli, elles s’aberçoifent que fous vaites l’amour comme oune zaucisse. C’est zimple!!

Il a éclaté d’un rire gras bien senti! Nos sens de l’humour venaient assurément de deux planètes différentes. Il s’est penché vers moi et, sur un faux ton de confidence, m’a dit en regardant à gauche et droite pour déceler d’improbables oreilles intéressées:

– Mais, vranchement... Entre fous et moi, quand on est brêt à jancher de blavond à ce brix-là, c’est qu’on vait très mal l’amour et qu’on a trop d’archent. Bour l’amour, che ne peux rien y vaire, alors che me concentre sur leur archent!!

Il a ri encore. Très fort. Il devait être très riche.

Il a sorti une sorte de catalogue de ce qu’il offrait à ses clients. Des images de pièces de châteaux, de voûtes suspendues, de toiles tendues, de plafonds flexibles, malléables, translucides ou opaques, tous offerts dans un choix de 128 couleurs, de 211 motifs, de six textures. Du grand n’importe quoi… J’adooooooore la texture de votre nouveau plafond, ma chère! Face à mon mur de hum hum et après 34 minutes bien comptées et deux cigarettes, Franz Brant a fini par deviner que l’intérêt qu’il soulevait chez-moi plafonnait, et il s’est tu. Le gros homme a alors plongé dans son tabloïd et il a absorbé sa dose de buts, de coups de boules, de salaires astronomiques. Et ce maudit bogue qui n’arrivait pas…

– Aubergiste! Un écossais! Et pas sur la roche!

Il y a des moments où l’on ne doit rien diluer. Le steward s’est exécuté sans relevé de ma plate blague de traduction. Je l’aimais vraiment beaucoup, celui-là.

Alors que sa troisième cigarette était à peine entamée, mon compagnon de voyage s’est endormi, la tête bien entrée dans ses multiples mentons. Très vite, l’adipeux Allemand a commencé à respirer bruyamment. En fait, il n’expirait pas, il soupirait. Inspiration, soupir, inspiration, soupir, et partout autour, l’odeur de son haleine. Il me fallait fumer pour survivre à cet envahisseur. Au fond de mon paquet, il ne me restait que deux cigarettes et malgré la tentation, je ne m’en suis allumé qu’une. La sienne brûlait toujours entre ses doigts et de la façon qu’il la tenait, la cendre tombait sur sa cuisse droite. J’ai attendu quelques minutes avec un plaisir à peine coupable à l’idée que la cigarette finisse sa combustion en le brûlant. Malheureusement, elle a fini par s’éteindre d’elle-même, au filtre, sans le réveiller. Sorry, try again. Sur son gigot, la cendre avait commencé à s’accumuler. N’ayant pas de cendrier et, merci moult scotches, de moins en moins d’inhibition, j’ai entrepris de laisser tomber ma cendre là où il y en avait déjà, dans l’espoir de créer un motif, une texture. Il m’était difficile de bien viser sans accrocher la montagne, mais ché suis parfenu! Avec le sourire de celui qui a accompli avec succès une mission délicate d’espionnage, j’ai fait signe à l’agent de bord :
- Auperchiste!

***

Nous volions maintenant au dessus de l’océan et le calme lisse qui régnait dans l’appareil m’a ramené à mes problèmes. Sur l’écran à l’avant, un petit avion blanc surfait bien au-delà de Terre-Neuve. Devant lui, que du bleu océanique. Ensuite, au loin, la terre des Angles, puis les plats pays, le nouveau millénaire, une vie que je ne voulais plus mienne... Avant ce voyage, il y avait eu elle, elle et moi, nous. C’était avant elle et lui, avant eux. Et maintenant que leur eux avait tué notre nous, que deviendra mon je? Il était difficile de passer du pluriel au singulier, du plus-que-parfait au définitif présent. Je ne pouvais m’empêcher de penser que c’était peut-être le gros Allemand qui avait raison, qu’on promettait la lune à des femmes qui ne voulaient que regarder de beaux plafonds, à moins que ce ne soit moi qui me suis acharné à faire de beaux plafonds à une femme qui voulait contempler la lune...

Sur l’écran défilaient des données dans le simple but d’impressionner les passagers: vitesse inimaginable, altitude insensée, température subantarctique. J’ai essayé de m’imaginer volant à cette vitesse au-dessus de tout ce vide. Ça m’a attristé. Au milieu de tout ce froid, je volais, lourd, insignifiant, à la recherche de sens. J’ai eu envie de pleurer un peu. Juste deux minutes. Mais on ne peut jamais pleurer en avion. Il y a toujours quelqu’un pour nous demander si ça va. En public, on peut sourire, se fâcher, se parler, siffler, se moucher, se gratter, mais pas pleurer. J’aurais pourtant bien aimé me déshydrater un peu, faire le désert en moi, équilibrer les atmosphères. Juste deux minutes.

Par le hublot, j’ai regardé le bout de l’aile qui semblait trop fragile pour le poids de l’avion. J’ai frissonné pour lui. Il faisait un peu froid et je reniflais sans cesse. Autour, partout, le bruit régulier des réacteurs se voulait rassurant. Calé dans mon fauteuil, j’ai fermé les yeux comme un magasin en faillite et j’ai prié pour que le bruit cesse, pour qu’on s’écrase, pour que la vitesse, l’altitude et la température reviennent à mon niveau. Mais les statistiques sur les accidents d’avions étaient décourageantes, et mes chances d’un écrasement, infimes. Seul un extraordinaire concours de circonstances pouvait me mener directement aux abîmes, mais ma circonstance ne gagnait jamais de concours. Je n’ai jamais été chanceux. J’allais atterrir à Bruxelles sain et sauf. Terriblement sauf.

Fin des vacances

Quelques semaines de vacances. Enfin, pour Dame V., parce que pour moi, ça s’étire depuis la fin mars. Nous avons joué aux Robinson Crusoé dans les bois, aux touristes européens à Québec, aux sultans dans des piscines creusées, aux enfants chez les parents, aux parents tout le temps. Durant les trois dernières semaines, nous n’avons vu notre appartement qu’en coups de vent, tantôt pour arroser les plantes, tantôt pour laver nos vêtements. De quoi donner des allures de spa à notre travail respectif.

Et ce soir, voilà que nous pouvons nous poser, quelques heures, quelques jours, avant que ne reprenne la routine, que ne s’entament les matins au réveil obligés, que ne s’amorcent, comme une grenade, les jours de garderie de mon mini-moi en version bout de femme.

Quelqu’un peut m’expliquer comment survivre à cela?

jeudi 2 août 2007

Prendre la mesure

Dans les bois, sous la toile, on a mesuré combien les planchers des appartements sont droits, combien un simple tamia rayé - le «suisse» québécois - fait sourire le matin, combien un biscuit disparaît vite quand un écureuil rôde, combien les doigts des ratons sont agiles pour ouvrir une glacière pendant qu’on dort, combien est beau un ciel sur le point de se fendre, combien brille un lac bleu dans les montagnes, combien il fait noir quand la nuit tombe, combien le silence parle.

On a pris la mesure de tout cela en détail, avec un regard de quinze mois, les yeux d'un ver à chou pour qui tout était une première, de la couleur du temps au goût des pierres. On oublie trop vite de goûter les choses et les choses passent rapidement.

C’est sous le soleil qu’on a plié la tente. On est revenus sous un ciel fâché, comme le dit la chanson, et c’est un en deuil qu’on a monté les escaliers vers l’appartement. On a rangé des sacs qu’on avait même pas ouverts, des jeux auxquels on n’avait pas joué, des vêtements qu’on n’avait pas mis. En se couchant, on s’est dit que tout cela passait trop vite…

Le lendemain matin, un voisin nous a appris qu'Yvette avait profité de nos vacances pour décéder. Elle qui avait hâte que son mari vienne la chercher, elle l’a attendu près de quarante ans.