mardi 30 mai 2006

Une Histoire banale

Il était 14h14, il devait faire 73 degrés Celsius avec l’humidité, malgré l’ombre, et mes cuisses collaient ensemble quand elles se frôlaient. J’avais les deux pieds sur le garde-fou, pas tant parce que j’étais au dessus de mes affaires que parce que ma galerie est un étroit corridor qui aboutit sur un cabanon rouillé. Je préférais lire face à la ruelle.

Près de moi, dans un mini transat en plastique jauni, dormait ma fille. Trois semaines, cinq jours, 182 cacas. Elle poussait des petits sons dans son sommeil, elle levait parfois les bras sans raison, elle éternuait aussi, pitchi!, si délicatement qu’il tenait de l’impossible que ce fusse efficace. En douce, j’ai scruté pour la millième fois ses plis de bras, ses ongles de doigts, ses petits orteils recroquevillés. J’ai passé un doigt en plume dans ses cheveux de plus en plus roux, sur son oreille, sa joue. Elle a souri. Contagieuse. Au loin, des enfants jouaient à la tag. Je suis retourné à mon livre, à la page 63 d'une histoire banale.

C’était hier. Il était 14h14, il devait faire 73 degrés Celsius malgré l’ombre. Le bonheur est passé sans s’annoncer.

vendredi 26 mai 2006

Ultime Délicatesse

Patrick marchait sur la rue principale du village St-Truc. Il ne se rappelait le nom du village, mais c’était le genre de place où les voitures manquaient d’essence sur le bas-côté lors des balades dominicales. Patrick marchait un bidon rouge à la main, vers une station d’essence.

En passant devant la petite église en bois peint un peu défraîchi, Patrick ne put s’empêcher d’aller y jeter un œil curieux. Il y avait un enterrement. Depuis le parvis, il pouvait voir une trentaine de personnes qui marmonnaient une prière que seul le curé semblait connaître. Puis une femme est sortie en sanglots, le visage dans les mouchoirs. En évitant Patrick, ses talons glissèrent sur le bois vermoulu. L’instant d’un éclair, bien malgré lui, Patrick devint voyeur et vit que la dame portait un slip noir sous sa jupe. Patrick se dépêcha d’aider la pauvre à se relever. Une fois debout, celle-ci ne leva pas les yeux et repassa sa jupe avec ses paumes. Elle souffla un remerciement gêné au bon samaritain, replaça son chapeau, et continua vers le stationnement.

Patrick trouva touchante cette femme qui poussait le deuil, ultime délicatesse, jusqu’à son slip.

jeudi 25 mai 2006

Petits travers de travaux...

Voici un florilège bien incomplet de perles trouvées dans les travaux de mes étudiants. Je ne nomme point leurs auteurs, mais sachez que je ne les aime pas moins, bien au contraire...

Autour de Flora Balzano :
«Elle débute par nous mettre en contexte avec sa mère.»
Ma mère était un jour de juillet 1945. Elle pleuvait.

Autour de Marie-Hélène Poitras :
«La jument est devenue malade après avoir indigesté trop d’avoine et d’eau chlorée.»
Ça lui apprendra à ne pas modester!

«Tranquillement, elle apprend vite sur le monde pervers du "modeling".»
Elle apprend vite mais il faut lui expliquer longtemps.

«(…) un jeu de magie vendu lors d’une ventre de garage.»
Pour digérer les pâtés de maisons.

Autour d'Anna Gavalda :
«Ce livre a probablement été réussi.»
On va vérifier…

«(…) on a tous besoin d’amour, qu’on ne l’admette ou pas.»
Allez, ne l'admettez!

«Passionnée dès un bas âge par les bandes dessinées, elle reçut une éducation de base dans une institution dominicaine pour jeunes filles.»
Ça lui apprendra à aimer les bédés!

Autour de Patrick Brisebois :
«Il a passé plusieurs mois à regarder des livres d’auteurs qu’il aimait pour tenter de s’en inspirer, mais en vain.»
Il fallait les ouvrir et les lire, mais on ne lui avait jamais dit…

«Il faut lire le chapitre pour comprendre ce que le titre de celui-ci signifie.»
Maudit que c’est long lire un livre dans ce temps-là…

Autour de Guillaume Vigneault :
«Les images littéraires donnent un clin d’œil particulier.»
C’est ce qu’on appelle le style racoleur!

«Il se sent perdu et commence une dépression d’amour.»
Ce genre de dépressions annonce toujours la pluie.

«Il utilise des métaphores d’avion pour décrire ses sentiments.»
Ça vole haut!

Autour d’autres sujets :
«Il a une idée racinée dans sa tête.»
Mais il est dur de la feuille…

«Il y a plus d’une centaine d’années que les femmes existent.»
Elles furent créées pour remplacer les peaux de mammouths, devenues rares…

«Les multivitamines sont importantes pour prévenir certaines maladies comme la prévention des maladies.»
C'est bien beau la prévention, mais il ne faut pas en faire une maladie...

«À un certain âge, le corps s’affaiblit dès l’âge adulte.»
Ça arrive vers cet âge-là, le certain âge…

«Personne n’est obligé d’avoir un corps extrêmement sculpté, mais au moins un en bon état physique et mental.»
Moi, j’ai un corps trop sculpté et en piteux état mental…

«La grossesse des adolescences n’est pas juste un problème émotionnel, physiquement ou mentalement.»
La grossesse des adolescences finit par l’accouchement d’enfances – c’est bien connu - mais c’est un problème physiquement émotif.

«La multinationale Wal-Mart s’enfoue des autres.»
Autrefois, les marchands s’enfouaient moins des gens.

lundi 22 mai 2006

jeudi 18 mai 2006

Les Gens denses

Depuis que Bernard a délaissé flotteurs jaunes aux bras, bouée au dos et autres canards à la taille, il tente de faire l’étoile, de flotter sans efforts à la surface des eaux. Sans succès. Il coule immanquablement, doucement, pieds premiers, le laissant après quelques secondes le cou cassé par en arrière à la recherche d’un peu d’air, alors que d’autres ondoient sans problèmes pendant des heures comme des otaries soufflées d’hélium. Après vingt ans d'essais, force lui est d’admettre que son père avait raison, qu’il y a des corps plus denses que les autres, qu’il y a des gens qui devront toujours nager, battre des membres, se débattre pour rester à la surface, ne pas sombrer.

jeudi 11 mai 2006

Les Fabricants de souvenirs

On a tous, tapis dans un coin de notre âme, des odeurs, des images, des sons qui parfument nos souvenirs d’enfance, des fragments d'un quotidien révolu élus au titre de souvenirs selon des critères qui échappent à toute logique. Ma mère qui prépare le dîner en sifflotant du Joe Dassin; un air de Roger Whittaker entre les feuilles de la grosse plante du salon; cette latte du plancher qui craque, la sixième en partant du pied du lit; cette même latte qui m’annonçait que ma mère venait m’embrasser pour une nuit pas d’puces, pas d’punaises; mon doigt sur l’arête de cette tuile cassée près du robinet du bain; les marmonnements incompréhensibles de mon père qui discutait avec son bois dans l’établi; la fois où de colère il avait fait un trou dans le mur de l'entrée avec son poing; le parfum de la sciure de bois, de la soupe aux légumes, du veston bleu marine de mon père, du col en opposum du manteau de ma mère… Même si je visitais toutes les chaumières de toutes les familles du monde, jamais je ne retrouverais ces souvenirs. Tout cela n’existe plus. Ils sont pourtant là, juste là...

Ce matin, en allant voir ma petite grenouille, une latte inévitable, près de son lit, a craqué. J’ai alors réalisé que je lui fabriquais des sons, des odeurs d’enfance. Lesquels retiendra-t-elle? La tâche m’a paru lourde alors qu’elle est fort simple; on n’a qu’à faire semblant d’être occupé à autre chose.

dimanche 7 mai 2006

Des chiffres et des comptes (#1 pour 2)

2/5/2006, 11h30, Aile A, #732, 2.
2cm d’ouverture, 40% effacement, perfusions, 60ml/heure, contractions aux 4 min. Douleur 3/10. 1h. Puis 2h. 3 cm. 6/10. 3h. 9/10. 4h. 10/10. 3cm. 16h. Aux 2 minutes 30. Toujours 3 cm. Un souffle, l'autre souffre. On ne veut plus compter, on ne veut plus jouer. Mais l'aiguille tourne. 10/10 revient. 11/10 si ça se peut. 19h. Aiguille épidurale. T12, L1, insertion. 20h. 1/10. 21h. Décompte des moutons. 7e ciel. 22h. On s’en fout toujours. 32 z. Zzzzz. 23h30. Médecin qui compte manger poulet passe. Check point. Tête à 2 cm. Le #4 pour 2 sera froid. 23h50. Poussée. 72ml/heure.
3/5/2006, 0h8, Aile A, #732, 3.
7 livres 14, 20 pouces (parce que je suis vieux et que les gens se pèsent encore en livres et se mesurent en pouces dans ma tête), premier souffle, puis 2e, puis 3e…
Cette nuit-là, on a tout compté.
Sauf la magie.

vendredi 5 mai 2006

Retours à la maison

Nous sommes à la maison depuis ce matin. On apprend tranquillement à marcher sur les lattes qui ne craquent pas, à évoluer entre la jalousie du chat et cet énorme calme après 48 heures d'hôpital, cet incroyable calme... La vie se déroule par sprint de quelques minutes puis reviennent les boires et les couches, moments où tout s'arrête... Je me suis découvert des gènes de pieuvre, d'organisateur et même de chanteur (hum!)... Gageons que ma fille me priera d'écrire bientôt!

À tous, merci sincère pour les souhaits.

(Coyote: change de photo, ça fait peur à ma fille!)

Et, je suppose qu'il faille le noter, notre choix s'est arrêté sur Romane. Le plus beau système digestif (houla, elle mange puis zoup!), le plus beau des coffres à soucis, ma fille. Il paraît qu'elle me ressemble. Cette ressemblance, ce petit bout de pérennité, m'empêche parfois de fermer l'oeil la nuit. Surtout quand elle dort, quand elle ne fait que me ressembler...

mercredi 3 mai 2006

Leçons d'un accouchement

Suite à cette expérience, j'offre:
aux femmes, tout mon respect;
à Dame V, (outre tout mon amour) toute mon admiration;
à ma mère, toutes mes excuses.

***

Désolé, je serai laconique:
depuis minuit 8, elle est.

lundi 1 mai 2006

Dérive

«Rien. Nada. Mer d’huile. Partout autour, l’océan plat. La proue du bateau pointe vers l’Islande cachée derrière l’horizon. Ce même horizon cache l’Afrique à tribord, l’Amérique à babord. Vents à zéro et voiles baissées. Pourtant le GPS indique une vitesse d’un nœud. Le Gulf Stream, la dérive nord-atlantique, un courant de fond caché sous le miroir. Assis à l’avant, les pieds ballants, je guette la bise. Je devrais savourer ce sel, mais au fond de moi se chamaillent une vague inquiétude pour les réserves d’eau potable et une crainte sourde que de l’autre côté de ce miroir nous attende une tempête…»
(extrait – modifiable - d’un roman à venir)

Depuis quelques jours, le téléphone s’est tu. On n’ose plus demander de nouvelles. Impression désagréable de surplace. Mais il y a ce nuage à l’horizon, cette promesse de provocation de demain, qui assure que tout a une fin, et que, forcément, tout a un commencement. Enfin.