jeudi 4 octobre 2012

Lettre à mon enfant


Il y a quelque temps, Sophie Rondeau (aucun lien de parenté avec moi) m'a approché pour participer à la rédaction du collectif Lettre à mon enfant, un recueil d'une centaine de textes de personnalités connues (et d'autres beaucoup moins... comme moi!) qui ont comme point commun leur «parentitude». Je suis très heureux d'avoir participé à cet ouvrage, d'autant plus que les profits de sa vente seront versés à la Fondation du Docteur Julien. Je recopie ici mon texte écrit pour mon fils Clovis. En espérant que ça vous donne le goût de vous le procurer. (Entrée en matières très inspirée de celle de Patrick Dion. Merci Pat.)


Ta Main

Il est 2 heures du matin. Tu dors dans mes bras. Il y a ces dents qui percent tes gencives, qui taraudent ton sommeil et le mien par ricochet. Il y a, surtout, ta main dans la mienne.

Demain, il y aura ce patron qui soupirera quand je lui annoncerai mon absence et il y aura ta grande sœur qui t’enviera de rester à la maison.

Ensuite, il y aura un tas de surprises. Il y aura la vie.

Il y aura le carré de sable dans la cour, le soleil dans tes cheveux. Il y aura la tag dans le parc et nos jeux de cachette dans la maison.

Il y aura ta main qui quittera la mienne à ton entrée à l’école, ta joie de découvrir, tes amis qui t’attireront de plus en plus loin de la maison.

Il y aura des journées de maladie où je veillerai sur toi, où je passerai ma main sur ton front, où je te rassurerai. Il y aura ces heures d’inquiétude dans des salles d’attente, la main dans tes cheveux, à me demander ce qui t’afflige. Il y aura ton sourire le lendemain qui me fera un peu oublier tout ça.

Il y aura ton désir d’indépendance qui grandira jusqu’au jour où tu refuseras mes câlins. Il y aura tes yeux au ciel à chacune de mes paroles, ces bruits inintelligibles en guise de réponses à mes questions. Les mains dans les poches, tu trouveras mon regard lourd, ma présence lassante.

Il y aura des baisers volés et d’autres non désirés. Il y aura ce sentiment si grand que tu ne sauras par où le prendre. Il y aura malheureusement cet amour qui te laissera tomber, qui te déchirera. Il y aura surtout moi qui n’y pourrai rien. J’espère que tu seras assez fort pour surmonter tout cela.

Il y aura ces gens qui te feront croire qu’un homme ne doute pas, ne souffre pas, ne pleure pas. Ne les crois pas.

Il y aura peut-être cette lame qui tentera de te séduire, cette corde au plafond qui t’appellera comme elle appelle trop de gens. Souviens-toi alors qu’il y aura la main de tes amis, de ta sœur, de ta mère, la mienne. Tu trouveras l’image usée, mais je te jure qu’il y aura toujours du soleil après la pluie comme il y a eu ta mère après mes orages, comme il y a eu ta sœur, comme il y a eu toi.

Il y aura ton premier appartement, ton travail, tes projets. Il y aura des gens que tu laisseras tomber, à tort ou à raison. Ils te traiteront peut-être de tous les noms. Ne les écoute pas trop, juste un peu. On ne se rend pas toujours compte comme il est facile de devenir salaud*.

Il y aura ta vie qui te prendra à bras le corps, qui t’emmènera loin.

Il y aura ce temps que ta mère et moi aurons retrouvé, ce temps que tu n’auras plus pour nous. Et quand nous nous verrons, il y aura ton exaspération devant mes habitudes de petit vieux, mon discours que tu auras trop entendu, mes idées d’une autre époque.

Il y aura peut-être tes enfants dans lesquels je te reconnaitrai, tes nuits à les bercer qui me feront un peu rigoler. Il y aura tout cet amour que tu ne peux encore t’imaginer. Alors, il y aura peut-être quelques pardons pour toutes les fois où j’ai été un père inadéquat.

Au bout du chemin, du moins au bout du mien, j’ose espérer que tu veilleras sur moi. Il y aura alors ma main dans la tienne, dans ta petite menotte d’enfant que tu seras encore, toujours.

Il y aura tout cela. Mais il est 2 heures du matin et il y a toi qui dors enfin.


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* Merci Guillaume Vigneault pour cette ligne!