lundi 29 janvier 2007

Serpillière

Sous un masque de plastique, entre des lèvres molles, sèches, émaciées, l’air passe au lent rythme de marées de plus en plus basses. Avec chaque expiration s’envole un peu d’existence, et déjà, les proches ne reconnaissent plus celle qu’ils ont un jour aimée. Ils viennent tout de même, ils restent et écoutent en silence la mort qui aboie. Dans le corridor, la serpillière essuie les traces de pas que laisse la vie qui passe.

vendredi 26 janvier 2007

Attention, je vous écoute...

«Elle fume comme un trou.»
Agathe Deschênes

(et elle boit comme une cheminée.)

mardi 23 janvier 2007

Graine de sésame

Nouvelle gagnante du prix Paulette-Chevrier 2006


Au commencement, tu baveras, tu échapperas des sons et tu t’oublieras partout, car au début, personne ne sait tout garder pour soi. On s’émerveillera pour tes yeux, ton pied qui entre dans ma bouche, tes poings fermés, prêts à te défendre. Puis tu marcheras, pataude. Tout d’abord vers moi, ensuite vers d’autres. Dans les plis de ton cerveau, tu enregistreras des mots que tu utiliseras d’abord approximativement. Dehors, tu observeras longuement les araignées et les flaques d'eau, et tu me raconteras, car j’ai oublié. Souvent, pendant ton sommeil, je t’observerai dans un bonheur inquiet. Plus tard, sans me le dire, tu apprendras des tables de multiplication, l’histoire de ton pays et des chansons idiotes. Je ferai semblant d’être fâché quand tu te rebelleras contre ton professeur. Tu parleras de tes amis comme si je les connaissais. Je dirai «C’est qui, Mariemachin?» et tu répondras, lasse, de laisser faire. Tout bas, tu te diras que je sais être con parfois. Tu auras un peu raison.

Puis tu ne voudras plus que je voie tes fesses et tu fermeras la porte de ta chambre en y accrochant une affiche «Interdit aux adultes». Je te jure de trouver ça idiot même si j’envierai ton royaume où les tracas me paraîtront bien menus. Tes bras, ton nez, tes oreilles pousseront trop vite, et tu auras des airs simiesques pendant quelque temps. Ta mère te trouvera encore belle. Moi, je n’en suis pas sûr. Entre deux chansons à la mode, je te raconterai mon histoire et tu bâilleras. Tu blanchiras mes cheveux en faisant la drôle avec tes amis. Tu me dépasseras d’une tête et te demanderas ce qu’on pouvait bien bouffer en 1969 pour engendrer des gens si rabougris. Tu seras effrontée comme un chat de ruelle, tu ne rentreras plus le soir. Tu aimeras à chair nue d’autres personnes, et les yeux gonflés, tu reviendras en claquant les portes. Alors, je mettrai ma paume dans ton dos avec hésitation, comme si j'avais peur de me brûler, et je flatterai en petits ronds inutiles. Tu panseras les plaies avec des sparadraps usagés et des bouts d'espoir un peu minces. Puis tu lâcheras les études et tu quitteras une maison devenue trop petite. J’attendrai alors de ne plus te voir au bout de la rue pour pleurer.

Un jour, j’irai chez toi. Je ne resterai pas longtemps, je le promets. Je t’observerai en douce et me reconnaîtrai dans des riens, dans le pli de ton front sous la concentration, dans cette façon de dire «comme de faite». Ce jour-là, en partant, je sourirai, je t’embrasserai plus longtemps que d’habitude, et tu auras hâte que se dénoue mon étreinte. Je supposerai que tu sauras bien à quel point je t’aime.

Voilà. J’en oublie sûrement des bouts. Tu me les raconteras.

Dans les livres, on dit qu’aujourd’hui tu es grosse comme une graine de sésame, et que bientôt, ton coeur commencera à battre. C’est déjà beaucoup. Alors tout le reste peut bien attendre.

lundi 22 janvier 2007

Au Doigt et à l'oeil

Un enfant, ça ne fait pas que vous décrocher un rêve : ça s’agrippe au nez, tire les cheveux, tord les oreilles… Un des mauvais compagnons de Plume résumait le tout par : quand les enfants sont petits, ils nous pilent sur les pieds; quand ils sont grands, ils nous pilent sur le cœur. Ça faisait aussi deux jours que Dame V disait qu’il faudrait bien couper les ongles de la petite, ongles qui poussent plus vite que les cheveux des Dupond et Dupont dans Le Crabe aux pinces d'or...

Vous me voyez venir? Vous êtes bien chanceux car moi, je n’ai rien vu du tout.

Samedi soir, pendant une séance de jeu hautement intellectuel, paf! Un mini-doigt dans mon œil gauche, ongle premier!

Diagnostic : déchirure de la cornée;
Inconvénients : douleur aiguë, vision réduite;
Avantages : codéine, repos.

Certains s’arrachent les yeux pour lire, d’autres pour élever leur enfant.

Je vous laisse le soin de faire le jeu de mots de votre choix.

jeudi 18 janvier 2007

Irritation

Gertrude remplit un long formulaire. Elle demande à son client des dates, des numéros, des noms. Elle s’immisce dans son intimité : a-t-il fumé de la mari au cours de sa vie? Combien de litres d’alcool boit-il par semaine? Quelles bouteilles de pilules traînent sur les tablettes de sa pharmacie? Le stylo écrit de petits caractères, ses doigts tapent quelques touchent, des chiffres apparaissent sur un écran, une feuille sort de l’imprimante. Bertrand signe ici, et là, et ici aussi, puis zou! le tout part direction un siège social quelque part dans une grande tour d’une grande ville. Bertrand serre la main un peu molle de Gertrude.

Les jours passent et dans son salon, pendant une publicité de la Banque de Montréal, Bertrand se dit qu’il aurait peut-être dû mentir sur ses désirs de parachutisme, sur cette cigarette lors de la naissance de son fils, sur ces maux de tête qui l’affligent depuis des semaines, mais il est incapable d’escroquerie et il attend nerveusement le verdict d’un assureur méfiant qui lui a envoyé une infirmière à la maison pour une prise de sang et quelques millilitres de pipi.

Longtemps plus tard, Gertrude l’appelle. Refusé. Condition cardiaque incertaine. La compagnie ne veut pas prendre de risques avec lui. Devant ses points d’interrogation, Gertrude lui demande s’il risquerait 100000$ de même, sans être sûr de rien. Il lui répond que c’est justement le principe de l’assurance et qu’honnêtement, il ne tient pas tant que ça à utiliser prestement sa couverture. Rien à faire, la compagnie le trouve à risque, et Gertrude, un peu idiot de ne pas comprendre cela.

Gertrude raccroche non sans avoir recommandé à Bertrand de se refaire une santé avant de la rappeler pour de l’assurance-vie. Puis, en se grattant là où son beige pantalon trop serré l’irrite, elle poursuit son sudoku.

Désir d'étudiant lucide...

"(Quand j'aurai vingt-cinq ans), je serai engagé à travailler cinq jours par semaine, trois cent soixante-quinze jours par année, avec peut-être une semaine de congé."
C'est Lucien Bouchard qui sera content...
Mais bon, il faut revoir les cours de mathématiques.

mercredi 17 janvier 2007

Attention: plus de frein


Notez bien qu'au dessus, il est écrit "bébé à bord".
Il y a des bébés qui ne savent quand s'arrêter...

lundi 15 janvier 2007

Scan du premier cours

Rentrée numéro 827. Me semble faire ça depuis toujours. Dehors il neige, plein d’étudiants arrivent en retard. Il y a même un gardien de sécurité qui fait la circulation à l’entrée du stationnement, comme si on n’avait jamais vu de neige, comme si on habitait les Canaries ou quelque chose du genre. Je cause plan de cours, d’échéancier, de linguistique. Je fais le clown un peu en mimant un trapèze vocalique, pour réveiller le gars de la troisième rangée qui s’endort déjà. Ils sont 38, je ne vois que celui qui cogne des clous. Je recadre. Mes étudiants remplissent un petit questionnaire très court, question de savoir à qui j’enseignerai, genre lieu de naissance, langues parlées, livres détestés et tutti quanti. Pendant qu’ils écrivent, je scane : à l’œil, j’évalue qui passera, qui aura abandonné dans deux semaines, qui copiera sur qui, qui aurait été mon ami si j’avais 18 ans, quelle fille j’aurais alors draguée, en sachant qu'alors, je ne draguais jamais les bonnes, les faites pour moi...

À la fin de la période, ils me laissent leur feuille que je regarde sans trop voir, et le dernier à partir, un grand pâle aux cheveux noirs, sûrement bassiste dans un band goth, me donne une feuille sur laquelle il est écrit, pour pays d’origine : Québec.
Je pense que j'ai trouvé l'ami...
Ou le lècheux.

mercredi 10 janvier 2007

Mise en garde

C'est un extraterrestre?
C'est un mort-vivant?
C'est un mutant?

Toutes ces réponses!!
...C'est un nouveau parent!

lundi 8 janvier 2007

Plastique

Tamako boit son café dans une grande tasse en plastique incassable qu’elle traîne partout. À la table de ce bistrot, bien loin de son Japon natal, elle arbore ce sourire nippon, qu’on ne sait jamais s’il est vrai ou factice, et se prend en photo du bout des bras avec un téléphone cellulaire orange. Elle pose, ramène ses longs cheveux noir jais d’un côté puis de l’autre, et avant chaque clic, elle prononce silencieusement le même mot qui lui laisse sur chaque cliché la bouche en forme de cœur.

Ce soir, depuis une chambre exiguë qu’elle paye trop cher, Tamako enverra ces photos à des amis, ou mieux, elle les publiera sur son blogue, décorées de moult chats blancs et d’encore plus de cœurs roses, avec écrit dessous : Tamako devant le stade olympique, sur le campus universitaire, à Tadoussac. Ces photos pourraient avoir été prises à Berlin ou Hanoi qu’elles seraient pareilles : on n’y voit que le visage ovale de Tamako, ses cheveux lisses, son sourire en plastique incassable. Tout le monde enviera sa chance, son bonheur.

Demain, sur le quai du métro en direction de l’université, le regard déjà loin, Tamako laissera passer trois rames sans bouger. Chaque fois, le vent ébouriffera ses longs cheveux lustrés.

lundi 1 janvier 2007

Bang! Bang!

Petit, sur la banquette arrière de la Plymouth Valiant bleu ciel de mon père, je passais tous les trajets à genoux à regarder le chemin parcouru se défiler. Je pouvais faire tout le chemin jusqu’à chez mes grands-parents sans jeter un seul coup d’œil devant, à me laisser surprendre par la force centrifuge des virages, les soudains freinages et les accélérations. Je tentais de deviner ce qu’il y avait d’écrit sur les panneaux de signalisation que je ne voyais que de dos, je comptais les poteaux, et quand on croisait une Volswagen, je donnais des coups à mon frère en criant «pinotte».

Ces petits passe-temps anodins cachaient cependant mon important boulot : ne pas se laisser dépasser par une autre voiture, une voiture qu’on avait laissée derrière en partant à l’aube, en douce, en faisant tout juste crisser le gravier. Quand arrivait une de ces vilaines roulant plus vite que nous, je m’appuyais sur mon dossier, je la visais soigneusement du doigt, un œil fermé, et quand elle était assez près, alors qu’elle s’apprêtait à nous doubler : bang! dans un pneu; bang! dans le pare-brise; bang! dans le radiateur.

Mon père me souriait dans le rétroviseur, cigarette au bec. C’était l’époque où la fumée secondaire ne tuait personne, l’époque où seuls les peureux s’attachaient à l’arrière des voitures, l’époque où les seuls démons du passé qui pouvaient me rattraper conduisaient une Trans-Am dont je m’appliquais à bousiller le radiateur à coups de revolver.

Aujourd’hui, j’ai le volant et je m’applique à éviter les nids-de-poule pour le confort de ma blonde, la sécurité de ma fille. Pour l’instant, dans le rétroviseur, ma fille ne fait que gazouiller, mais bientôt, elle parlera, elle marchera, elle aura ses propres démons surgis du passé à tirer.

D’ici là, je lui promets de conduire comme un pro et assez vite pour ne pas être rattrapés par quoi que ce soit. Mais un jour, quelque chose la rejoindra. Ce jour-là, je lui montrerai où viser, juste là, sous le sigle de la voiture, entre les deux phares. Ce sera à elle de fermer l’œil, de retenir sa respiration et d’appuyer sur la gâchette. Ce jour-là, je soufflerai dans le canon avec la satisfaction qu’apporte un mandat bien rempli.