mardi 27 février 2007

Cours d'auto-défense

On fait semblant de ne pas savoir que ses amis ne parlaient pas de soi quand on revient des toilettes.
On fait semblant qu’on parlait d’autres choses quand un de ses amis en revient aussi.
Tout le monde le fait et tout le monde continue de faire semblant et tout le monde continue de croire que même s’il le fait, les autres ne le font pas à son sujet.
C’est con, mais c’est comme ça.

Après, on s’étonne que les filles aillent aux toilettes ensemble...
On appelle ça de l'auto-défense.

lundi 26 février 2007

Attention, je vous écoute...

« Elle souffre de santé mentale. »
Jacqueline Duhamel

Ce n'est pas toujours facile d'être sain d'esprit...

jeudi 22 février 2007

Le Creux des mains

Nous nous poussions. Nous jouions du coude. Pour gagner. Un centimètre. Plus haut. Plus en avant. Pour fuir la faim qui s’imposait. Pour être le premier, le plus près possible de la voie. L’attente avait assez duré et dans duré, il y a dur. Dur comme dans difficile, intransigeant. Mais tout cela se terminait. Le train de Vladivostok arrivait. L’absence dans nos ventres reculait, battait en retraite. Devant nos yeux, un défilé comme celui d’un Mardi Gras: une locomotive, deux wagons. Pas de cambuse. Le plus beau des défilés.

Le convoi stoppa devant nous. La pression de la foule se fit encore plus forte. Les bras se joignirent aux miens et se levèrent vers la grande porte de bois du premier wagon. Au bout de ces bras, des mains rudes, sales, que personne ne voulait serrer, à qui personne n’avait donné un coup de la leur depuis le début de cette guerre. Les poings se desserrèrent, libérés des menaces, du désespoir. Tous écartaient leurs doigts pour attraper ce qui pourrait passer à portée et un peu au-delà. Des centaines de petites étoiles criant leur soif d’être rassasiées. Devant nous, derrière l’écran de mes larmes de joie, la grosse porte tardait à s’ouvrir. L’attente parut interminable. Superminable. Très, très minable. Qui mine.

Des secondes déguisées en siècles.
L’ouverture se fit. Les bras se tendirent encore plus, à la limite du déchirement. Nous redevenions les rois que nous avions jadis été. Mais lentement, sournois comme une épidémie, le silence s’infiltra dans toutes nos bouches vides depuis trop longtemps. La foule se tut.
Silence de mort.

Le wagon était vide.

Dans l’embrasure, il n’y avait que Sergei dans son uniforme usé. Sergei que je voyais pour la première fois en seize mois. Sergei, le seul de mes fils qui ne soit pas encore mort pour notre patrie. Avec un air désolé, il ne dit rien. Il avait raison. Il n’y avait rien, à dire comme à se mettre sous la dent. Il n’y avait plus de nourriture depuis des semaines à la grande ville. Mais rien depuis des semaines, c’est plus que rien depuis des mois ici. Et dans ce wagon, à nos yeux, il n’y avait rien que depuis quelques secondes. Le vide du convoi se joignit à celui de nos ventres, prit toute la place. La faim et le froid revinrent s’installer, gonflés à bloc, avec le sourire des vainqueurs qu’on croyait vaincus.

Je réussis à monter dans le wagon, à m’approcher de mon fils. Je le serrai dans mes bras débiles, dans mes mains décharnées.

Jamais je n’aurais cru si puissante l'envie d’étrangler un homme.

mardi 20 février 2007

Apéro

J’ai commandé une bière. En fait, c’est faux, je n’ai rien commandé du tout. Je me suis assis au comptoir et poc! une pinte de rousse a atterri devant moi. Je ne sais pas si cet accueil est plaisant ou révélateur d’une pathologie quelconque. J’ai toujours préféré m’en plaire.
Il y avait peu de clients. J’aimais bien ces moments où le bar semblait m’appartenir. Mais il ne faut pas se leurrer; une buvette est une maîtresse plutôt volage. De l’autre côté du comptoir, Jeff attendait que j’aie pris ma première gorgée de bière avant de commencer la discussion. Je prenais mon temps, étirant le plaisir de ces silences d’après-midi. Je savais que dès ma première gorgée, Jeff allait m’envoyer une phrase sybilline pour partir la discussion. J’ai tranquillement pris une gorgée. Jeff faisait semblant de ne rien voir de mes gestes mais il tendait l’oeil. J’ai avalé puis, par pure cruauté, j’ai attendu deux secondes avant de donner le signal de départ, avant de faire ah...
- Aaah...
- Hier, je l’ai fait!
J’étais habitué à ses étranges entrées en matière, mais à chaque fois, il réussissait à me surprendre. Je n’ai pas répondu tout de suite, alors il a continué:
- J’ai mis fin à tout cela.
Je gardais le silence comme un objet précieux. Je savais où il voulait en venir, ce qu’il avait fait. Aussi, je savais qu’il savait que je savais. Il a ajouté:
- Je sais toujours pas si je suis plus heureux aujourd'hui qu'hier.
Puis, il est parti laver des verres.

vendredi 16 février 2007

mercredi 14 février 2007

La Pierre au fond de l'étang

Ils en avaient quelques fois discuté. À ces occasions, discuté et disputé s’étaient joyeusement confondus.
- Mais pourquoi? Tu ne m’aimes pas? Je ne ferais pas un assez bon père?
- Ce n’est pas ça, tu le sais bien. J’ai une carrière qui commence à peine...
- C’est vrai, on devrait attendre que tu aies quinze ans d’expérience dans la même boîte, toi qui ne supportes pas de garder un emploi plus de six mois...
C’était un argument visqueux comme une pierre au fond d’un étang. Il ne le savait que trop bien.
- Qu’est-ce que tu veux dire?
Elle lui lançait des points d’interrogation à son tour. Il n’aimait pas la tournure que prenait la discussion.
- Rien, sinon que tu seras prête à avoir des enfants à 43 ans.
- Alors, ce sera à 43 ans.
- Mais j’en aurai 47! ...Et 60 quand ils me rendront fou avec leur crise d’adolescence!
- Je les ferai avec quelqu’un d’autre, alors. Si je suis aussi stable en amour qu’au travail...
La discussion venait de mettre le pied sur la pierre au fond de l’étang.

lundi 12 février 2007

Aphorisme

(Introduction à mon cours de création littéraire)

L'auteur roule, le texte inspire, le lecteur plane.

vendredi 9 février 2007

Yulblog

Je m’attendais à un grand attroupement, ce fut pire; je me suis buté à un troupeau compact, debout entre les tables. À le voir trinqué joyeusement de la sorte, le monde du blogue montréalais semblait très bien se porter. Tout le monde avait l’air de se connaître, mais il était inutile d’épier les conversations bien longtemps pour se rendre compte que les liens étaient on ne peut plus récents.

Je suis resté seul au bar le temps de goûter une demi-pinte, de prendre le pouls, de me mettre à la température ambiante, puis après ce long élan, j’ai plongé. Saut arrière, double vrille, peu d’éclaboussures, pas de quoi épater les juges mais tout de même efficace. Il y avait là tout un microcosme, une société avec ses vedettes rock et leurs groupies, ses gourous et leurs élèves, ses curés et ses fidèles, ses comptables, ses mères au foyer, ses adolescents de 35 ans, ses caissières populaires, sa masse ouvrière et quelques profiteurs du système (je vous laisse mettre des noms sur ces qualificatifs, moi, j’ai mon idée…). Moi qui croyais entrer dans un monde de dorks (les geeks trentenaires) obtus parlant klingon et portant de fausses oreilles pointues, j’ai côtoyé l’instant de quelques heures un univers joyeux, hétérogène et inspiré.

À chaque poignée de main, la surprise : je le pensais moins sympathique, elle m’imaginait plus grand, je la croyais moins jolie, etc. Cependant, en général, on ne se connaissait pas, et les plus polis tentaient de faire comme si. Leçon numéro un : ne pas faire comme si.

Malgré le brouhaha et les va-et-vient et les « viens ici que j’te présente Machin », j’ai quand même pu échanger quelques syllabes avec une blonde chroniqueuse, DOA, M, Jean-Luc, Lyne, Apinpelsufac, SP4M, Sof l'ancien chien, une camionneuse et un chauffeur de taxi… (et Pluche!) Pour les autres que j’ai manqués, notez ce à quoi je ressemble sur la photo. On se reprendra à la prochaine rencontre de Yulblog.



P.-S. J’ai appris, cancre informatique que je suis, qu’à chaque fois que j’ajoute un libellé à mes textes, mes « abonnés » au fil RSS (de cossé?) reçoivent un message. Moi qui fais 45 mises à jour par jour depuis que j’ai passé au nouveau Blogger… Il me reste quelques centaines de textes (ouf…) auxquels ajouter des libellés, puis c’est fini. Je m’en excuse à l’avance.

mercredi 7 février 2007

À la manière de...

Bon, je cède au défi de Geneviève. Voici mon blogue "à la manière de" Mère indigne. (ok, je suis le second - on m'a devancé ici. Mais je ne l'ai appris qu'après avoir écrit ce court texte).

Père indigne saura me pardonner...

***

Mère indigne, devant son écran d’ordi – Tiens, Jean-Pierre xxx m’a envoyé une photo…

Père indigne, vaguement désintéressé– Enfin une photo de lui en bobettes.

Mère indigne— Depuis le temps que je veux voir si c’est un vrai gars, ce Jea… Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii!

Père indigne, vaguement intéressé— Quoi?

Mère faussement indignée, qui tente de cacher l’écran en gonflant sa poitrine en riant– Euh… Rien.

Père très intéressé— La dernière fois que tu m’as caché l’écran avec tes seins, on a fait Bébé indigne...

Mère faussement résignée– Anyway, on voit pas grand-chose…

Père indigne– Ouain, mais c’est qu’il est tout en muscles… Hé!! Il n’y a pas de bobettes sur cette photo!

Mère indigne– Il a d’autre chose, par exemple…

Père indigne, qui se met les mains dans les poches— Ya rien là, c’est juste une photo… Si ça se trouve, c’est même pas une photo de Jean-Pierre xxx…

Fille aînée, qui arrive en douce par derrière et voit l’écran– Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii!

Père indigne, qui sort de la pièce un peut brusquement– Z’êtes pas tannées de faire Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii! tout le temps?

Fille aînée et Mère indigne qui se regardent, hilares– Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii!


Ce soir-là, pour amadouer le mâle Alpha de la maison, j'ai cuisiné des merguez.

mardi 6 février 2007

Sylvain et le petit chien

Sylvain m’avait retrouvé grâce à ce blogue. « Tu es bien le Daniel qui jouait au poker avec Martin et Jef en 1986? » qu'il m’avait demandé dans un premier courriel. On ne choisit pas ses souvenirs, je me suis dit, et celui-ci en valait un autre. Moi, je gardais comme souvenir de lui qu’il arrivait toujours premier aux concours de mathématiques, et qu’il avait un petit chien fatigant qui confondait la jambe des visiteurs et ses amantes.

On est allés prendre un café dans un bistro du centre ville. Malgré la poussière, on s’est reconnus tout de suite. Pendant qu’on résumait les vingt dernières années de nos vies respectives, on se jaugeait mutuellement dans le miroir que nous étions l’un pour l’autre. Je dois avouer que j’ai perdu tous mes amis de l’époque, et que jusqu’à ma rencontre avec Sylvain, 1986, c’était hier. Autour de deux cafés dans ce bistro, il y avait deux hommes qui racontaient des vies bien différentes, les pores un peu dilatés, les tempes grisonnantes, des pattes d’oie lors des éclats de rire. La dernière fois qu’on était sortis ensemble, on avait eu peur de se faire demander nos cartes d’identité par le serveur; cette fois, on les aurait demandées à la serveuse tant elle avait l’air adolescente…

Tels des scientifiques sur une calotte polaire, on a foré une longue carotte dans la glace de nos vies. On a regardé les couches laissées ici et là, on a tenté d’éclaircir quelques zones floues, pourquoi était-ce plus dense ici, pourquoi cette couche de suie là, à quel moment exactement le dernier dinosaure s'était-il éteint, sans arriver à des conclusions bien pertinentes. Puis le café s’est refroidi, les additions sont atterries, les agendas nous ont ramenés dans le présent.

Ce jour-là, à la sortie d’un bistro du centre ville, ce sont deux hommes qui venaient de mesurer le temps qui se sont serré la main. Puis, avant de partir, mû par un étrange réflexe d’association, j’ai replacé la jambe de mon pantalon sur laquelle, pourtant, aucun petit chien ne s'était frotté.

lundi 5 février 2007

Attention, je vous écoute...

« [Elle] a les deux pieds dans le même plat. »
Daniel Gosselin

C’est sûr que si elle avait les pieds dans des plats différents…

jeudi 1 février 2007

Sauver du temps

Son regard a soutenu le sien. Chose rare, le sien en a fait de même. Par hasard au début. Pas par défi comme souvent. Puis par bien-être. Un peu par bonheur aussi. Autour de ses yeux verts, un visage sûrement trop jeune et décidément trop beau. Le tout d’une apparente assurance et d’une superficielle froideur comme seules en sont capables les rousses.

Deux stations comme ça, à ne pas baisser les yeux, à surtout ne pas baisser les yeux.

Ils sont descendus tous les deux à la station Lionel-Groulx, non sans sourire de ce hasard nullement significatif. Elle a arrêté ses pas sur le quai d’en face, le regard posé sur les rails qui menaient à Honoré-Beaugrand. Lui devait remonter à la surface, continuer vers le bus. Debout sur une marche de l’escalier roulant, il ne pensait qu’à elle, à leurs chemins déjà divergents, comme après cinq ans de vie commune. Quand il a compris qu'il devait absolument la revoir, il a entrepris de redescendre un escalier roulant qui insistait pour monter. Il a bousculé ceux qui le suivaient, il a trébuché en arrivant en bas. À peine s'il s'en est rendu compte.

Il lui a tendu un bout de papier sur lequel était écrit un nom, le sien, et un numéro de téléphone, le sien aussi.
Elle lui a souri, gênée. Il est reparti, fier.

Il pensait qu’elle ne l’appellerait jamais.
Elle ne l’a jamais appelé.
S'il avait su, il l’aurait giflée, là, sur le quai. Ils auraient sauvé du temps.