lundi 25 juin 2007

Pourquoi le ciel est bleu? et autres bonnes questions...

J’avance dans le parc comme un pigeon, sans objectifs plus édifiants que le prochain grain, picorant ici et là au gré de la curiosité de ma fille. Son intérêt se porte tantôt sur un écureuil, tantôt sur une fleur. Ma fille n’en fait qu’à ses sens et elle ramène tout à sa bouche pour en identifier le goût : une samare, une pierre, un filtre de cigarette…

Après maints détours, on se retrouve assis dans le sable au milieu d’une dizaine de morveux de quatre ans. Une petite fille aux grands yeux s’approche de nous puis cesse de bouger, timide malgré les trente centimètres qui nous séparent.
- Bonjour, je lui dis. Comment tu t’appelles?
Son visage s’illumine, toute heureuse que je l’aie remarquée. Je n’ai pas toujours eu cet effet auprès de la gent féminine. Elle ne semble pas comprendre qu’un aveugle manchot l’aurait aussi repérée tant elle est collée sur nous…
- Je m’appelle Aisha.
- C’est joli, ça, Aisha. Elle, elle s’appelle Romane, lui dis-je en lui présentant ma fille.
Aisha retourne à son silence puis semble embêtée. Je souris dans ma barbe et me prépare à répondre à une de ces questions d’enfants naïvement complexes.
- Toi, tu es qui?
- Moi, je suis le papa de Romane.
Bon, ok; question complexité, on repassera. Mais il y en aura d’autres. Je me prépare quand même à répondre à des questions plus difficiles : pourquoi le ciel est bleu? Où va-t-on quand on est mort? Pourquoi le prix de l’essence est en dixième de cents? Ce genre de trucs… Romane s’occupe à mordiller une petite branche.
- Sa maman est où? demande-t-elle en pointant ma goûteuse.
- Elle travaille en ce moment.
Là, un énorme point d’interrogation se dessine sur le visage d’Aïsha. C’est le temps : je m'étire, je réchauffe mes neurones, j’anticipe : pourquoi toi tu ne travailles pas? Quand est-ce que je serai grande? Qui a tué les dinosaures? Je suis prêt.
- Il est quelle couleur, son travail?
Uppercut.
Ébranlé, je tente de répondre intelligemment.
- Euh… Hé! Hé! Euh… Gris!? (désolé chérie!)
Aïsha opine; elle semble bien comprendre ce qu’est un travail gris.
- Et toi, ton travail, il est quelle couleur?
Je regarde autour les arbres, les enfants qui courent, Romane occupée à découvrir le goût d’une poignée de sable…
- Vert. Menfin, je crois…
La réponse semble satisfaire Aïsha qui joue avec sa robe. Peut-être rêve-t-elle à son futur boulot, à quelque chose de bleu, de rouge ou de rayé… Mais déjà Romane se lève pour marcher vers d’autres saveurs et me tire avec elle, me laissant tout juste le temps de dire au revoir.

Je crois qu’Aïsha fera une excellente conseillère en orientation, et que si elle pose encore cette question dans vingt ans aux étudiants qui la consulteront, il y aura alors pas mal moins de comptables sur les bancs des universités…

mardi 19 juin 2007

Monsieur Tout Le Monde

Depuis toujours, je passe inaperçu. Dès le départ, mon père ne se rappelait jamais mon nom. Il faut dire que je suis le onzième d’une famille de quinze enfants et que j’ai l’air de rien, j’ai l’air de personne et de n’importe qui. Monsieur Tout Le Monde, c’est moi.

Contrairement à ce que vous pouvez en penser, ça me plaît bien. J’ai commencé très jeune à bosser dur pour que cette situation ne change pas. C’est assez difficile de ne pas se faire remarquer : il faut viser la moyenne, le plus grand dénominateur commun, le cœur de la masse. À l’école, comme les professeurs ne remarquent que les étudiants assis dans la première et la dernière rangées, je m’assoyais dans la seconde, près des murs. Pour être certain de ne pas être remarqué, je visais la moyenne du groupe. Dès que je recevais un 80%, je ralentissais la cadence, et je terminais avec un invariable 72% ni épatant ni inquiétant. Ni vu, ni connu. Je suis passé au travers l’école comme un fantôme au travers les murs.

J’ai abandonné les études assez tôt pour travailler dans une grande usine de boîtes de carton. J’arrive dix minutes avant l’heure, pars à l’heure pile, jamais un congé de maladie; après vingt ans à leur service, les patrons ne me reconnaissent toujours pas. Je possède une maison moyenne dans une banlieue moyenne. J’évite les voitures trop récentes et celles de plus de dix ans. J’aurais bien un enfant virgule huit et une femme un peu moche si pour ça il n’avait fallu qu’une femme me remarquât. Je vis donc seul avec un chien. Pas trop gros le chien.

Le soir, en rentrant du boulot, j’arrête dans une taverne de centre d’achat vaguement achalandé, toujours la même, puis je commande une de ces bières à la mode qui goûtent peu, toujours la même aussi. Malgré ma longue fidélité à ce lieu, le vieux barman me demande toujours quelle bière je désire. Je fais alors semblant d’hésiter avant de dire «Tiens, une Bud Light aujourd’hui». J’ai vraiment l’air de rien, je vous dis.

Mais ce soir, en entrant dans la taverne, le barman m’a reconnu. Le temps de prendre banc, une Bud Light est atterrie devant moi et le barman m’a salué avec un grand sourire :
- Salut Michel! Ça va?
J’étais troublé. Pour la première fois de ma vie, quelqu’un me reconnaissait, se souvenait de moi. J’ai répondu en onomatopées, j’ai calé ma bière et je suis parti en laissant un généreux pourboire.

Dans ma voiture, au moment de mettre le contact, je suis arrivé à la conclusion que je devais maintenant me trouver une autre taverne.

vendredi 15 juin 2007

My Big Fat TV Matinée

D’un œil distrait, je regarde une de ces émissions matinales entre la revue de potins et le journal télévisé. Le reporter-techno de l’émission y présente un site Internet où l'on peut commander des t-shirts personnalisés, avec l’image ou le texte de son choix imprimé dessus. Bien sûr, dit-il, assurez-vous de ne pas faire imprimer un texte avec des fautes; vous auriez l’air fou…

Puis, en guise de cadeau d’au revoir à l’animateur qui s’apprête à se retirer de ce fourre-tout matinal, le reporter lui donne fièrement un t-shirt sur lequel il a fait imprimer: Vive la grâce matinée!

Moment de grasse.

mardi 12 juin 2007

Le Deuxième Élément

Dans une blague-type, il y a trois éléments.
Le premier sert de mise en contexte. Le second, apposé au premier, établit une règle logique, attise l’attente, prépare la venue du troisième élément: l’élément comique, celui qui retient l’attention, celui qu'on garde en mémoire, le coup de coeur, le punch.
J'ai souvent été le deuxième élément dans ma vie amoureuse.

mercredi 6 juin 2007

Et passe le temps

Je n’arrête plus pour regarder passer le temps. Je suis un adulte maintenant. J’ai des obligations, des responsabilités, un enfant. Pourtant, il continue de passer ce foutu temps, de filer, de fuir. Vite en plus. Un temps sans pitié, qui laisse des bourrelets ici, du flasque là, des rides à des endroits qu’on croyait bien à l’abri. Un temps qui rend les cheveux gris quand il ne les laisse pas tomber tout simplement. Un temps qui fait moisir les fruits et disparaître des amis. Un temps qui nous bloque le dos, un matin comme ça, au lever du lit. Un temps qui rend pénible une course qu’on faisait pourtant hier encore, le sourire aux lèvres. Un temps qui réussit à élever l’apéro d’autrefois au rang de cuite olympique. Ce maudit temps qui fait des enfants des ados, des ados des adultes, et des adultes des cons. Du temps que je n’ai plus. Menfin, plus aussi souvent.

Et voilà qu’aujourd’hui, j’en ai eu, du temps. Alors je vais au café armé de mon cahier de notes, d’un stylo et d’un Raymond Carver. Pour écrire, lire, regarder, savourer ce temps à moi tu-seul, bien décidé à le retenir un brin, sachant fort bien qu'il coulera entre mes doigts.

Aussitôt assis, je pique le Journal de Monrial sur la table d’à côté, le feuillette rapidement, puis je me mets à chercher les huit différences entre deux dessins même pas drôles.

Un passe-temps.

Quelqu’un pour me gifler, s’il vous plait?

samedi 2 juin 2007

Autour du bonheur

- Pour toi, c’est quoi le bonheur?
- Toi et tes questions à la Mafalda…
- Non, je suis sérieux: pour toi, c’est quoi le bonheur?
- Peuh… Je ne le sais pas trop. C’est presque rien. Le bonheur, c’est... c’est quand la personne que tu aimes te dit qu’elle t’aime. C’est quand tu réussis à la faire rire. C’est quand tu la vois avoir un orgasme. C’est… C’est de revoir un ami qu’on a perdu de vue depuis longtemps. C’est un chien qui entend les pas de son maître dans l’escalier. C’est un compte de carte de crédit à zéro. C’est un mois avec trois paies. C’est un réveil-matin qui te réveille avant que tu te rendes compte que c’est samedi. C’est le rire de ton enfant. C’est quand le barman te paie un verre, comme ça, pour rien. C’est le sourire d’une belle fille que tu ne connais pas. C’est une botte de foin dans un champ par un beau jour d’automne… C’est un peu n’importe quoi. Ça dépend de ton regard, j’imagine… Et pour toi, c’est quoi ze bonheur?
- C’est avoir assez de temps avec un ami pour l’entendre énumérer ce qui le rend heureux.
- Tu vois, c’est ce que je disais; c’est presque rien et pas mal n’importe quoi...

On s’est regardés. On s’est souri. Les verres ont fait cling! puis le silence est resté entre nous cinq heureuses minutes.