lundi 26 novembre 2007

Je peux dormir

Il est une heure du matin. Premiers marmonnements dans son sommeil. Je lui caresse les joues, le front, les cheveux. Je suis là, elle peut dormir.
Il est 10h. Soudaines sueurs fiévreuses. Je lui caresse les joues, le front, les cheveux.
Je suis là, elle peut dormir.
Il est 17h. Enième peine d'amour. Je lui caresse les joues, le front, les cheveux. Je suis là, elle peut dormir.
Il est 23h. Dernières palpitations dans un lit d'hôpital. Elle me caresse les joues, le front, les cheveux. Elle est là, je peux dormir.

vendredi 23 novembre 2007

La Fin de la magie

Premier coup d’égoïne. Premières poussières de bran de scie. Ça ne me touche pas. Du moins pas encore. Le magicien fait de gros yeux menaçants, je fais semblant d’avoir peur, le public rit.

Deuxième coup. Le bois cède sous la morsure des dents métalliques. Puis troisième coup, quatrième. Le magicien me scie maintenant l’estomac. Je reste jolie et surtout muette. Des spectateurs y voient un classique, d’autres se mettent la main devant la bouche, les plus jeunes se ferment les yeux. Moi je souris comme un mannequin de catalogue. Le magicien continue de me trancher. Sur son front perlent quelques gouttes d’effort. Quand enfin il s’en sort, quand son égoïne retrouve l’air libre, il pousse ma tête loin de mes pieds devant un auditoire ébahi. L’illusion est parfaite. Le mystificateur, triomphant, lève bien haut les bras. Et moi, dans mes boîtes, je joue la vivante, je bouge la tête, je bouge les pieds. Tout le monde applaudit, cherche le truc. Je me retiens de crier qu’il n’y a pas de truc, que je suis bel et bien coupée en deux, que s’il y a un miracle, c’est que j’ai su survivre. Mais maintenant, j’ai le cul loin du coeur. Maintenant, il me faut me réunir.

Le rideau tombe bien avant que le magicien n’ait eu le temps de me réunir. Mais ça, personne n’y a pensé. Ils ont payé, ils ont applaudi, c’est fini. Il leur faut rentrer, il y a la gardienne des petits à payer, le boulot du lendemain à reprendre, la routine à essuyer. Dehors, il y a la vraie vie, pas la magie.

De toute manière, que feraient-ils d’une femme jamais entière, toujours divisée, qui ne sait plus où elle met les pieds, d’une femme qui aurait dû écouter sa mère et se méfier des magiciens?

mercredi 21 novembre 2007

Al-Romi

Depuis août dernier, ma fille fréquente une garderie en milieu familial tenue par une famille québéco-marocaine. Dès le début, Dame V. et moi étions emballés à l'idée que notre fille soit en contact aussi tôt avec une autre culture, et nous nous demandions bien qu'est-ce que la petite en retiendrait outre quelques mots d'arabe, un goût marqué pour le couscous et un vif désir de tourner son tapis de jeu vers la Mecque en fin d'après-midi.

Ce matin, ma fille voyait la neige pour la première fois. Menfin, ce n'était pas sa première fois mais à un an et demi, vous comprenez ce que je veux dire. J'avais hâte de marcher vers la garderie avec elle pour l'entendre pousser des Oh! et des Ah! devant les flocons et pour voir briller ses yeux sous sa tuque à oreilles en faux mouton. Mais dès que je l'ai déposée sur le trottoir les deux pieds dans les deux centimètres de neige fondante (encore blanche après vingt minutes, un record à Montréal)... elle s'est mise à pleurer!

Alors que nous l'attendions d'un côté, l'influence marocaine s'est manifestée de l'autre: ma fille n'aime pas la neige.

Je crois que je vais aller m'en plaindre à la commission truc-muche...

lundi 19 novembre 2007

Désolé du retard

On s'est croisés une fois. C'était avant la cuisson de ses perruches. On était contents de se dire bonjour. C'est d'ailleurs à peu près tout ce qu'on s'est dit. Et on ne s'est jamais revus depuis.

Ça m'a pris 100 ans avant de l'ajouter à mes liens. Je ne sais trop pourquoi. C'est pourtant un des très bons blogues de création que je lis. Comme je les adore.

Alors, allez rattraper le temps que je vous ai fait perdre:
Charles Bolduc

mardi 13 novembre 2007

Carton

La voisine du haut a le pied lourd. Elle marche du talon du pas assuré de celle qui sait où elle va. Pourtant elle va de la cuisine au salon, du salon à la cuisine, et ce, sans arrêt, 28 heures par jour. Ma chambre est sous sa cuisine et il est trois heures du matin, c’est dire si je l’entends marcher.

Dans la chambre contiguë à la mienne, mon voisin érotomane baise tous les jours, et cette nuit, un transsexuel un peu moche en processus de métamorphose. Après que mon voisin ait joui sans discrétion, c’est au tour du travelo de se faire pomper. Après qu’il ait joui à son tour, le deux discutent de lubrifiant, de changement de sexe, d’hormones, de thérapie. De mon lit, je pourrais participer à la discussion sans lever la voix. J’évalue rapidement à 2mm l’épaisseur du carton qui compose mes murs.

Je les ai avertis pourtant. Dix ou vingt fois, je ne sais plus. Tous ces pourparlers ne m’ont laissé qu’une terrible envie d’homicides. Alors je ronge mon frein, je porte les bouchons, mais je sais bien qu’un jour, je ne serai plus capable.

En bas, mon voisin rentre de la taverne. Sa matronne l’engueule vertement. Face à sa bonne femme, sa plaidoirie se limite à un bégaiement de deux ou trois syllabes inintelligibles. Il se défend comme il peut mais il ne peut pas beaucoup. Elle lève le ton et finit par le lancer dans le mur. Je signale le 911 sans ouvrir la lumière. Quand le policier entend mon nom, il me demande comment ça va et si c’est la commande habituelle. Je lui dis que c’est reparti comme en 40, que c’est à nouveau «une grosse patate avec une p’tite bière sans effervescence». Il soupire, mais je devine un sourire; ça les amuse toujours de venir visiter mes voisins d’en bas. La police arrive quelques minutes plus tard. Quand les flics repartiront, la grosse matronne frappera au plafond avec son balai en me criant de me mêler de mes affaires.

Pendant que le saoulon du bas se refait battre, la voisine du haut se fait à manger. Je ne sais trop quoi, mais elle tranche des trucs assez durs, des carottes en bois si je me fie aux coups de couteaux sur le comptoir, et elle échappe sa planche à découper sur le plancher. Trois fois.

4h15. Je ne dors toujours pas. En bas, la voisine doit avoir assommé son imbibé et à côté, ils se sont tus après avoir convenu que l’opération attendrait encore quelques mois. La voisine du haut danse maintenant au son d’une musique rythmée. Je cogne au plafond à mon tour. Elle frappe le plancher du talon. Si je sors de cette chambre, c’est pour aller en prison, c’est sûr.

Le lendemain, à l’usine de boîtes de carton où je bosse, un journalier me traite de petit bourgeois douillet quand il apprend que j’habite sur le plateau. Pas de chance pour lui, j’ai un exacto dans la main. La lame est courte et émoussée, mais j'ai pas mal de détermination.

***

Ce matin, je vois mes voisins à la télé qui disent que j'étais pourtant un voisin un peu trop discret, qu'ils se doutaient bien qu'il y avait quelque chose de pas net avec moi. Je ferme le poste.

Dans quelques minutes, je reçois mon avocat pour connaître la date de ma comparution. J’espère que ce sera dans longtemps et que la peine sera lourde; vous n’avez pas idée comme on dort bien dans ma cellule.

mercredi 7 novembre 2007

Gravité du graffiti

La recette est simple : dans un endroit public, n’importe lequel, au centre-ville de Montréal ou dans le village le plus reculé, peignez un grand mur blanc, puis allez patienter en prenant un verre ou trois dans un débit à votre goût.
Fort à parier que le mur se remplira de graffitis en moins de deux. Et quel sera la teneur de ces graffitis? Oui madame : un tas de mots grossiers que ma mère m’a défendu d’écrire ici, et des dessins aussi explicites que mal foutus.

Pourquoi les gens qui ont des messages d’amour et de tolérance ne les écrivent pas sur ces murs blancs? Je ne le sais pas. Parce qu’ils sont timides? Parce que c’est dans la nature même des bonnes gens de ne pas être «louds», de ne pas avoir besoin de crier leur tolérance et leur amertume? Parce que l’amour, ça se vit? Ceci dit, il y en a tout de même qui feront des signes de «peace» ici et là, un soleil dans le coin, ou un autre truc gentil que tous trouvent un peu cul-cul mais qui fait du bien.

Eh bien, c’est ça, la commission Bouchard-Taylor : un mur blanc offert aux graffiteurs.

Il serait bien que les caméras des journalistes qui couvrent ce non-événement focussent sur les petits dessins de fleurs dans les coins. Je suis peut-être naïf, mais je crois qu’ils représentent pas mal plus l’opinion de la majorité des gens que les croix gammées et autres gribouillis à la bombe aérosol dessinés par des gens qui en ignorent le sens.

Quand on veut se débarrasser de son chien, on l'accuse d'avoir la rage, dit le proverbe. C'est ce que font les petits racistes de partout en ce moment. C'est aussi ce que font les médias avec le Québec dit profond.
Et c'est triste.

lundi 5 novembre 2007

Regain de vie

Nous regagnons la maison en marchant lentement tous les soirs. Nous la regagnons, mais pour regagner les choses, il faut les gagner une première fois puis les perdre.

Nombre d’entre nous n’avons pourtant jamais perdu ce chez-soi, cette vie regagnée tous les soirs.
Pour être honnête, pour être juste avec les mots, il faudrait bien perdre ce que nous avons au moins une fois. Parce qu’à toujours regagner ce que nous n’avons jamais perdu, c’est nous qui nous perdons.

Dans cette vie de tous les jours, il est fou le nombre de prix que nous réclamons sans jamais avoir participé au tirage.