jeudi 18 août 2005

Madeleine

Texte écrit pour le colectivo Coïtus Impromptus

Ce matin, Madeleine s’est enchaînée à la tuyauterie du sous-sol pour ensuite avaler la clé. À la grosseur de la chaîne, ils devraient couper le tuyau au chalumeau. Ils, c’étaient les soldats de son pays, ceux qui jusqu’ici étaient des alliés, des amis, des frères. Ces traîtres viendraient ce soir ou demain l’expulser de sa maison comme on arrache un enfant en pleurs au cadavre de sa mère. Partout dans les journaux, on parlait d’évacuation, terme qu’on réserve habituellement aux eaux usées et aux victimes d’une tempête, d’une inondation, d’une soudaine crue. Sauf que cette crue était celle du bon sens, et que c’était un peuple qui inondait.

Madeleine ne comprenait rien. Comment pouvait-on passer de victime à bourreau en vivant simplement dans une maison? C’était Ariel lui-même qui lui en avait donné les clés. Et Ismaël, l’autrefois bel idéaliste Ismaël, le maintenant austère et hostile Ismaël, de lui demander en écumant où il était aujourd’hui, son Ariel? Madeleine est parvenu à l’apaiser en lui promettant qu’elle et lui seraient les derniers à partir de la colonie, ceux qui appuyeraient sur l’interrupteur.

Ce soir, les soldats sont venus, tranquilles. Ils ont parlé à Madeleine, doucement, comme on parle à une vieille tante affaiblie sur son lit d’hôpital. Madeleine pleurait alors qu’Ismaël lançait des points d’interrogation acides comme d’autres avaient jadis lancé des pierres.

Les soldats n’ont pas eu à découper les tuyaux, ils savaient où la chaîne avait sa faiblesse. Madeleine et Ismaël sont sortis debouts, dignes, déchus. Sur le pas de la porte, Madeleine s’est arrêtée pour regarder une dernière fois sa maison. Au moment de quitter les lieux pour de bon, dans un dernier sanglot, elle a appuyé sur l’interrupteur.

Et la lumière s’est allumée.

2 commentaires:

  1. Mazel tov!
    En plein dans le mille, Dan. À la fois actuel et touchant.
    Merci.

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  2. Poignant et que dire de l'écriture !

    Un texte (trop long peut-être), d'accord, je ne le ferai plus :

    "Le foyer est le centre du monde, car c’est là où la ligne verticale croise l’horizontale. La ligne verticale monte au ciel et descend au pays des morts, sous la terre. La ligne horizontale représente la circulation terrestre, toutes les routes qui mènent à travers la terre à d’autres lieux. Ainsi c’est au foyer que l’on est le plus près des dieux du ciel et des morts sous la terre.(...)
    Le croisement des deux lignes, le réconfort promis par leur intersection sont des idées qui existaient probablement à l’état embryonnaire dans la pensée et dans les croyances des peuples nomades, mais ils emportaient avec eux la ligne verticale, tout comme les montants de leurs tentes. Pareillement, de nos jours, à la fin de ce siècle de déplacements sans précédent, des vestiges de ces sentiments subsistent dans la pensée et le cœur de millions de gens.

    J’y insiste car si on ne saisit pas ce que le foyer a signifié à l’origine, on ne comprendra jamais pleinement le sens de l’émigration. L’émigration n’est pas uniquement le fait de quitter un pays, de traverser l’eau, de vivre parmi des étrangers, c’est aussi défaire le sens du monde – et à l’extrême limite – s’abandonner à l’irréel qui est l’absurde."
    Extrait texte l'Exil de John Berger
    Lien : http://www.peripheries.net/g-berg2.htm

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