mardi 21 février 2006

Accent grave

Si vous demandez à Carlos depuis quand il vit au Québec, il vous dira depuis toujours. En fait, il est arrivé ici à l'âge de huit ans. Il sacre, il écoute le hockey et il a pratiquement connu le Rosemont du temps où il y avait encore des champs. De voir son visage rond de descendant maya gober de la poutine avec des commentaires de connaisseur surprend et amuse. Ça rassure un peu, aussi. Malgré cette intégration, Carlos cultive jalousement son accent d'Amérique centrale, un accent prononcé, une carte postale sonore d’un Salvador lointain qui lui fait dire «Salou!», une salutation qu’il fait souvent suivre d’un «Yé soui conntennt dé té vouâr!» qui rend immanquablement joyeux. Avec Carlos, il y a toujours plus de sourire et de voyelles qu’il n’en faut.

Carlos ne veut jamais retourner au El Salvador; «Cé payss né mérite pas mes souliers». Peu avant de venir vivre ici, des factions anti-communistes soutenues par les Américains ont tué son père, ses oncles, sa grand-mère. «Ils ont découpé ma grande-mère et ils ont laissé les morceaux sour lé bord dé la route.» Puis entre deux gorgées, presque pour lui-même, il ajoute : «On né fait pas ça a son peouple.»

Malgré les cheveux noir jais, malgré le teint ensoleillé à l’année, Carlos n’est plus salvadorien. Il vit au Québec, jalousement, entièrement. Mais quand il parle, tout le monde entend sa grand-mère et son père.
Il y a des accents plus graves que d’autres.

1 commentaire:

  1. Et toi, t'as le chic pour les portraits. C'est criant de vérité. Visuellement et auditivement.

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