vendredi 27 février 2009

Eux et nous seuls pouvons...

Ça court sur les blogues. Depuis la disparition de David Fortin, tout un chacun s'est senti interpellé. Avec raison. Pierre Foglia en a parlé. Puis Martin Comeau, Geneviève Lefebvre, Patrick Dion, et la FQDE. Tous apportent un éclairage nouveau à problème complexe. Et dans les commentaires, tout le monde y va de son histoire, de ses solutions qui vont des ultimatums donnés aux directions d'écoles à la préconisation de l'école privée, en passant par des sanctions plus fortes. À croire que la vision de Harper fait littéralement des petits. Le nombre de victimes d'intimidation (et donc, de bourreaux) semble immense à la lumière des discussions des derniers jours. Mais se pourrait-il que le problème soit plus grave et implique plus de gens que ce que nous croyons?

Je vous raconte deux expériences.

J'ai dix ans. Je suis petit, peu musclé, un brin intello, mais sociable (du moins j'essaie). Depuis longtemps, un petit con m'écoeure. Appelons-le Robert. Ainsi, Robert n'en manque pas une: il se moque de moi en prenant les autres à témoin, il me pousse, il me provoque… Comme je n'ai pas appris à me battre, j'abdique toujours. Pire, j'endure. Puis un jour, je me tanne et je lui crie « Ta gueule, le singe!» (Ouuuuuuuhhhh... On voit très bien que je suis un violent dans l'âme. (Avis à ceux qui me cherchent)).

Robert me prend par le collet et me donne gentiment rendez-vous après l'école.

Chose promise, chose due, et alors que je marche tranquillement vers la maison en croyant faussement m'être sauvé de quelques bleus à bon compte, Robert et un accolyte (que je croyais un de mes amis!) m'attrapent par derrière et me foutent une douce raclée sous l'œil amusé d'autres élèves qui passent par là. Il faudra l'intervention d'un vieux monsieur (le croulant doit avoir 40-45 ans!) pour que cesse l'averse.

Mes parents portent plainte et le directeur d'école nous convie, Robert et moi, à son bureau. On est vachement intimidés. Surtout moi, le petit garçon modèle qui craint l'autorité et la déception de l'adulte. Le directeur nous demande ce qui s'est passé. Euh... Comment avoir conscience, à dix ans, des années d'intimidation, de leur rôle dans le déroulement des événements? Comment le raconter à quelqu'un de neutre qui ne nous connaît pour ainsi dire pas?

Le verdict tombe rapidement: comme j'avais traité Robert de singe, lui et moi étions quittes.
«Serrez-vous la main et retournez en classe.»

Le directeur ne pouvait pas savoir.

***

Seconde histoire.

J'ai onze ans. Toujours même gabarit, toujours même personnalité, sinon mieux ancrée.

Un morveux, fraîchement arrivé en ville et visiblement trimballé d'école en école depuis des années, me choisit comme souffre-douleur. Après tout, j'ai la tête de l'emploi et le biceps peu menaçant. Le morveux, appelons-le Luc, a une face à claques mais un certain charisme. Il n'a surtout peur de rien ni de personne (quand on change d'école aux années, c'est une question de survie), et ça attire son lot d'admirateurs craintifs.

Chaque fois qu'il me croise, c'est la jambette, le coup dans les côtes ou une autre trouvaille de l'art du combat. Chaque fois, ses disciples le trouvent drôle. Surtout Josée, Nathalie et Serge qui le suivent partout. Car c'est comme ça que ça fonctionne, les enfants: ils adoptent le comportement qui apparaît normal, qui est le moins menaçant. Les adultes aussi fonctionnent de cette façon.

Puis Luc disparait aussi soudainement qu'il est arrivé. Probablement pour une autre école, pour un autre souffre-douleur.

Imaginez: 30 ans plus tard, j'en veux encore à Robert. Et à Luc. Mais jamais autant qu'aux spectateurs qui, par souci d'acceptation ou par lâcheté, les ont laissé faire. Cependant, et c'est là où le bat blesse, c'est que ces derniers peuvent être n'importe qui; c'est lui, c'est elle, c'est vous, c'est même moi. On l'a TOUS déjà fait, même sans s'en rendre compte, même sans en avoir l'intention. Que ce soit par nos gestes, nos propos, nos silences, nos regards ou nos aveuglements volontaires. On a tous été victime un jour, bourreau l'autre, dans l'ordre ou le désordre.

On oublie que même dans notre regard d'adulte, les laissés-pour-compte semblent parfois avoir mérité leur rôle, et que le secret du Secret, où la bonne attitude attirerait la chance, vaut aussi pour son contraire, et qu'après quelques taloches, plusieurs se résignent et acceptent les suivantes comme on le fait avec une mauvaise météo. On oublie aussi que même dans le monde des grands, passer par dessus un ostracisme généralisé est incroyablement difficile, qu'on soit victime, bourreau, spectateur ou tout cela en même temps. Alors imaginons un peu ce que ça représente pour les enfants...

Tout cela pour dire qu'il n'y a pas de solutions faciles. On est tous impliqués d'une manière et de l'autre.

Il reste l'éducation. Et l'exemple. Surtout l'exemple.
À la lumière de ce qu'il se passe par les temps qui courent, il faut croire que ce dernier n'est pas terrible.

13 commentaires:

  1. On ne peut rester insensible par ce clip australien ( http://tinyurl.com/cpyf52 ) qui démontre la puissance de l'exemple. Chaque être humain a la responsabilité d'être un bon exemple pour les enfants, pour les autres êtres humains. Pas toujours facile, mais c'est une question de survie, à mon avis.

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  2. Salut, je viens de la même petite ville que toi tu sais mais j'ai jamais eu a faire face a ce genre de situation, du moins j'ai toujours évité ce contexte parce que je faisais rien pour y arriver , c'est la provocation qui contrôle tout , aujourd'hui encore c'est pareil ,c'est juste une question de provocation, j'avais pas le temps pour ça la bataille quand j'étais kid, c'est comme une chicane d'enfants finalement les parents interviennent et arrive a ce disputer entre eux , la première chose que tu vois par la suite c'est les enfants qui son réconciliés , ça fait que tu te dispute pour rien, aussi de nos jours si tu interviens tu auras des poursuites contre toi, c'est bien ridicule mais ça marche comme ça ,,me fait lourd ton texte parce que ,enfin - bon j'ai ben hâte de t'payer un drink Daniel, pour notre santé!

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  3. Éloquent résumé du problème. J'en parlais sur un autre blogue. Une solution possible : la formation de grands ados en vue d'en faire des «big brothers» qui veilleraient sur les petits, les victimes, les souffre-douleurs.
    On pourrait même récompenser ces grands frères d'une façon quelconque.

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  4. @ garamond335, je crois que ça existe déjà de façon embryonnaire, dans les écoles que j'ai visitées dernièrement il y a le programme "retour vers le pacifique" où un certain nombre de "grands" dans la cour d'école sont supposés être les médiateurs des conflits qu'on leur expose.
    ceci étant, il y a encore tout un pas à faire pour la victime de choisir d'aller en parler, même à d'autres "enfants" : la peur d'empirer son propre cas, celle de passer pour une balance, celle -pourquoi pas- de se créer un nouvel ennemi en la personne du médiateur qui prendrait fait et cause pour le bourreau...

    c'est malheureusement une situation de harcèlement psychologique, et même pour des adultes, il est extrêmement difficile 1) de le reconnaître, 2) de le documenter de façon objective, 3) de l'exposer au grand jour. je parle en connaissance de cause. alors pour des petits...

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  5. La communication entre la victime et son «protecteur» doit se faire très discrètement, il va sans dire....

    Ce principe est universel: «J'ai un haut placé qui veille sur moi.»
    Dasns toutes les institutions, compagnies ou groupes, on se place sous l'aile protectrice d'un plus fort et on est à l'abri des «tyrans».
    Je n'ai rien inventé...

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  6. Eh bien, moi, j'ai fait mon primaire dans une école privée pour filles. Et je peux te garantir que certaines étaient de vraies petites pimbêches, saintes-nitouches qui finissent par t'écraser le pied l'air de rien, à te tirer les cheveux ou à te traiter de tous les noms ("pute" étant un des pires, quand on a 12 ans).

    Disons que je n'étais pas tout à fait adaptée au moule et que j'ai fait les frais de ces petites pétasses (dont les noms sont encore gravés dans ma mémoire!) Mais j'avais un sacré caractère et des parents assez zen qui prônait l'indifférence. Ils me conseillaient d'ignorer les méchancetés, de ne surtout pas riposter et descendre à leur niveau. Je leur aurais donné ce qu'elle voulaient, et j'aurais justifié leur revanche (tu l'as appris avec ton "singe").

    Difficile à faire, cependant. Mais je peux te le dire: ça a forgé mon caractère.

    Sinon, au secondaire, j'étais plutôt du genre à m'interposer dans ces situations. Mais je me foutais de l'image qu'on se faisait de moi (le primaire m'ayant vachement endurcie). Peut-être que les filles on a ça de bon: les gars n'osent pas nous frapper. Alors quand on prend la défense des souffre-douleur, on risque moins gros?

    Mais c'est l'exemple qui change le monde, petit à petit. Pas à pas.

    J'élève mes garçons du mieux que je peux, pour qu'ils ne soient pas des bourreaux et qu'ils soient assez courageux pour ne pas laisser les autres être violentés.

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  7. Malheureusement (et je ne voudrais pas péter la balloune à personne), la solution n'est pas simple. Ce n'est pas en encourageant la délation, en prêchant par l'exemple ou en dédommageant l'aide des grands frères qu'on viendra à bout du problème. C'est un début mais ça ne règlera rien. Est-il possible, de toute façon, de venir à bout du problème?

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  8. Moi aussi je te remercie pour ce témoignage!

    Je sais que cela peut paraître étrange comme commentaire mais depuis quelques jours je me dis que l'intimidation a fait de fichus bons blogueurs.

    Au moment où je lisais ces lignes, on vient d'annoncer aux nouvelles qu'on vient de libérer deux jeunes adultes qui ont tiré un gars de 18 ans, faute de preuve. Pourtant je viens de voir la bande vidéo au moins trois fois, le tueur tire à bout portant, et on l'a vu une fois, deux fois, trois fois... Pourquoi?

    Ça explique peut-être pourquoi j'ai sans cesse les yeux dans l'eau depuis quelques jours.

    Marie

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  9. En effet, il y a de bons billets qui sortent de tout cela. Ça prouve que ça va chercher quelque chose chez tout le monde.

    Patrick: Je suis d'accord avec toi pour l'absence de solution générale. Il n'y a que des petits pas qu'on peut faire. La vie, et surtout l'enfance, est une sale jungle.

    En fait, j'aurais dû écrire une troisième histoire vécue. Une où j'aurais été un bourreau, ou du moins un assistant silencieux de bourreau. Juste pour montrer que même les moins musculeux et les déjà victimes peuvent être méchants parfois.

    Danaée: moi aussi j'espère faire de me enfants des gens meilleurs. En même temps, je veux qu'ils soient forts, qu'ils soient justes. Est-ce alors essentiel qu'ils soient confrontés à une certaine dose de violence?

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  10. 5ième année,ma meilleure amie change de clan et me prend en grippe...je réussis à charmer le plus grand et plus fort de l'école pour me protéger...ça dure un temps,il ne peux pas toujours être présent...Donc toute ma 6ième année, je me fais harceler, intimider...Dans les années 70,les moeurs ne sont pas assez évoluées....Je me tape une dépression à 11 ans...ouffff....Aujourd'hui, ma fille a 10 ans,elle vas dans une petite école de 200 élèves, maternelle à 6ième année, vu la petitesse de l'école,(et la qualité des éducatrices du service de garde) le contrôle de la violence est très efficace....Je suis resté dans un 3 et 1/2 pendant 7 ans pour que ma fille aie accès à cette école, pour la 6ième année de ma fille, (depuis 4 ans, la commission scolaire menace de fermer cette école, faute de budjet et ect...Yah wright!) l'école seras fermée et les élèves, envoyés dans de plus grosses écoles...Dont la réputation n'est pas aussi...''calme et sereine''!
    Je crois au système ''petite école/plus grand contrôle''
    Plus l'école est petite,plus le corps enseignant connait et reconnait sa clientèle...et a un plus grand impact sur le déroulement de la vie sociale...
    Les commissions scolaires et le gouvernement ne voient que le ''aujourd'hui combien ça me coûte...''L'impact économique d'un environement malsain sur une génération coûte beaucoup plus cher si l'on calcul les ressources économiques,sociétaires et médicales sur la vie de chaque individu....Je sais qu'il y auras toujours des ''Bully's'',la roue ne tourne que dans un sens, celle du retour sur elle même, et les parents sont très responsables de l'éducation de leurs enfants, mais,nous ne pouvons êtres à l'école avec nos enfants, donc nous devons faire confiance aux êtres humains qui s'occupent de nos enfant 5 jours sur 7!
    Mais que peuvent-ils faire avec des groupes de 32 élèves et plus... Je sais, c'est long come comentaire mais y fallait que ça sorte...

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  11. Comme je dis souvent, se mêler de ce qui ne nous regarde pas a du bon.Je suis mère non pas d'un kid de 18 ans mais bien de tous les enfants vu que je suis un adulte. Faire passer le message que la violence ne passera pas,jamais, que la médiocrité peut être remplacée par l'effort et le partage, distribuer un tant soit peu respect des plus jeunes aux plus grands ...
    On ne peut pas aimer tout le monde et tout le monde ne nous aime pas mais l'acharnement sur plus petit ou plus faible pour le plaisir de lâcher son trop-plein: No freakin'way !
    Je me permets : http://megotzille.blogspot.com/2009/02/le-pushercest-le-fils-du-directeur-mom.html

    J'aime ton blogue Mr Rondeau !

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  12. Enfant, on appelle ça l'intidimation, le "bullying"... Mais, à l'âge adulte, ces comportements perdurent toujours... ils n'ont que changer de nom : bienvenu dans le monde du harcèlement psychologique au travail... et ça détruit, démotive, démoralise, à un point tel que le harcelé finit par croire qu'IL est dans le tort... il ne retrouve plus ses repères et la guérison est longue... très longue... il faut rebâtir l'estime de soi...

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