vendredi 5 mars 2010

Buffet froid

Je passe en revue la chronique nécrologique. La liste des défunts est longue, comme à chaque jour. J'examine les photos et je trouve que tout le monde a la tête de l'emploi, comme si la photo avait été prise exprès pour l'occasion, en sachant qu'elle servirait à ce constat du carnage ordinaire.

Chaque jour, je trouve que la date de naissance de la plupart des froids se rapproche de la mienne, même qu'il n'est plus rare que ceux que l'ont voit sourire platement sur ces pages soient nés après moi. Comment est-il possible que ces vieux cons soient les mêmes enfants que je poussais dans la cour de l'école jadis, les mêmes qui chantaient des chansons idiotes sans se soucier du temps qui passe? Ainsi feu-feu-feu, les petites marionnettes...

J'ai cette terrible impression que je navigue dans une de ces barges qui s'apprêtent à accoster en Normandie, que dans quelques minutes, le flot de soldats me poussera sur la plage de Juno et que je courrai une dernière fois, essayant de respirer le plus longtemps possible entre les gouttes de plomb, entre les balles de mes souvenirs. Je n'ai jamais combattu que pour moi-même, et pourtant, je ne suis qu'une viande s'apprêtant à refroidir sous le regard inattentif des lecteurs du journal de Montréal. «Il laisse dans le deuil deux oeufs tournés avec patates rissolées.»

Dans l'encart publicitaire, je repère les spéciaux de la semaine de l'épicier du quartier. Je découpe la première photo de jambon que je vois. Ma photo nécrologique. Ce ne sera pas pire que ma tête d'aujourd'hui.

7 commentaires:

  1. Tu a une si sale tête que ça aujourd'hui ? Mais sans blague, c'est vrai que plus on avance, plus on sait que ça sa peut venir n'importe quand ce truc-là qui se nomme la mort...

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  2. Même si nous sommes nés à la même date, notre date d'expiration n'est pas la même.

    Accent Grave

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  3. Un jambon entier? C'est quand même mieux qu'en tranches...

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  4. Accent Grave: Mais quand la moitié des morts sont nés après toi, tu te sens un peu seul à inspirer.

    Valérie: Mais rien de mieux pour une tranche de vie!

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  5. Je ne lis jamais ça les chroniques nécrologiques, mais je comprends ton feeling.
    J'ai eu un flash similaire l'autre jour en voyant une «vieille-madame-de-pas-loin-de-70 ans» traverser lentement une rue et soudain...Wow, la distance émotive et pyschologique qui m'avait toujours tenue si loin de l'identification au troisième âge, a avancé d'un cran.
    J'ai tout à coup eu le sentiment que ça m'arriverait vraiment et qu'un jour, pas si lointain, (quelques décennies là!)quelqu'un me regarderait impatiemment traverser lentement une rue.
    Pouf, finie la pensée magique...

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  6. Hier, je vous épargne les détails, j'ai appris que j'avais quelque chose de "louche"... une masse suspecte... bref la biopsie est en vue !

    Après, je suis allée dans une épicerie et là, un jeune homme m'a engueulée parce que je marchais lentement dans les allées...

    Qu'est-ce que j'aurais dû lui répondre à votre avis ??

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  7. C'est triste et beau à la fois.
    Moi aussi, je ne peux me passer de lire les chroniques nécrologiques et je suis déçu quand il demeure un mystère sur les causes de la mort... C'est comme une histoire que l'on ne termine pas.
    Il laisse dans le deuil sa conjointe (Geneviève) et ses enfants (Raphael et Flavie), ses frères Luc (Chantal), François (Catherine) etc.
    Au moins, quand on suggère un don à une fondation ou à un centre hospitalier, on se figure un récit...
    J-Félix Chénier

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