jeudi 29 janvier 2009

Isolement

Fabien ne sait plus à quel âge il a cessé de diluer les choses.
Il lui a toujours paru incongru de vouloir goûter aux plats des amis lors d'un repas, comme si ça enlevait du plaisir à son repas, comme s'il se brossait les dents entre deux biscuits, comme s'il allait à Rome regarder un diaporama sur l'architecture chinoise. Chaque chose a son heure réservée. Après tout, si les médecins ne font entrer qu'un patient à la fois, il ne voyait pas pourquoi il en serait autrement pour sa nourriture.

Enfant, il a rapidement cessé de mettre du lait dans son chocolat en poudre. Puis il en a fait de même avec son café et ses céréales: un verre de lait à côté du bol. L'un, puis l'autre. Ensuite vinrent les pâtes sans sauce, les viandes sans légumes… Il ne détestait pas le lait ou les légumes, il préférait seulement déguster la vie par ingrédient isolé.

À l'âge de 20 ans, il suivait à la lettre le guide alimentaire canadien, sauf que chaque groupe alimentaire avait sa journée: viande - lundi, légumes - mardi, fruit - mercredi, produits laitiers - jeudi, céréales - vendredi, puis il recommençait. Le jour des fruits, jour qu'il préférait, Fabien les achetait d'un coup et les consommait dans la journée. Rien ne pourrissait jamais chez lui.

Tout cela était simple. Jusqu'à ce qu'il rencontre Marianne et son pâté chinois.

lundi 26 janvier 2009

La Voisine (dernière partie)

J'ai senti le besoin de me défendre, moi qui pensais candidement être défendu.

- Je ne l'espionnait pas, je suis allée l'avertir qu'elle faisait un boucan d'enfer alors que la petite dormait.

Les policiers ont regardé la petite qui les épiait par en dessous, intriguée par ces deux monozigotos. Comment lui en vouloir…

- C'est que cette petite… a entrepris le premier clown.

- …ne semble pas dormir, a fini le second.

J'étais dans un mauvais rêve. J'allais me réveiller et rigoler de toute cette histoire. J'ai attendu quelques secondes sans que rien ne se passe. Il fallait que j'abdique: je nageais en pleine réalité.

- Bien sûr qu'elle ne dort pas, ai-je fini par ajouter. La voisine fait du bruit et vous êtes rentrés avec vos bottes et tout.

Comme des nageuses synchronisées, les deux représentants de la loi ont regardé leurs bottes et ont plissé légèrement les yeux. Visiblement, ils prenaient l'explication comme une accusation.

- Écoutez. La voisine faisait du bruit, je suis allé l'en avertir. Point à la ligne. C'est pas de l'espionnage, c'est une question de bon voisinage.

Celui qui avait l'air le plus taré des deux a levé une main énorme pour me couper la parole.

- Monsieur, quand cela arrive…

- …il faut appeler la police.

- En attendant, quelqu'un a porté plainte contre vous…

- …on doit intervenir.

Tout cela durait déjà depuis trop longtemps.

- Supposons que la fo.. la femme d'en haut ait raison, qu'allez-vous faire?

- Alors vous reconnaissez l'espionner?

Woooo, le terrain était plus glissant que je ne le pensais.

- Non! Je n'ai espionné personne. J'ai d'autres chats à fouetter que de glisser le regard entre les rideaux de la dame d'en haut.

Les policiers se sont regardés en souriant en coin. Ils s'amusaient de la situation, les bougres.

- En fait, elle nous a plutôt déclaré que vous…

- …écoutiez à votre plafond puis alliez lui répéter...

- …ce que vous aviez entendu.

Pas à dire, elle était douée, la voisine.

- De toutes manières, ont continué les longs bras de la loi,…

- …on voulait seulement vous avertir.

- Vous avez l'air de type bien…

- …nous imaginons que vous allez savoir quoi faire.

Je l'ignorais, en vérité, mais ils pouvaient être certains qu'il y aurait une suite.

- Alors, merci bien messieurs, ai-je dit en leur montrant le chemin vers la porte. Soyez assuré que j'ai bien retenu la leçon.

Sur le pas de la porte, dans un élan de camaraderie auquel je ne pouvais m'attendre, le plus affecté des deux a lancé à la blague:

- En tout cas, on peut comprendre que vous soyez tenté de l'espionner…

Le second de rire en ajoutant:

- …avec son petit déshabillé, plusieurs ne pourraient s'en empêcher!

Et ils sont partis, en se bidonnant tranquillement.

Après avoir recouché la petite, j'ai longuement valsé entre une contre-attaque ou l'abandon d'une guerre qui s'éterniserait à coup sûr.

Mais comme ma fille partait avec sa mère pour les deux prochaines semaines et que ma charge de travail au bureau n'était pas très contraignante, je me suis dit que des plaintes à répétition à la police pour grossière indécence sur mon balcon seraient une bonne idée…

samedi 17 janvier 2009

Entre deux parties de Voisine...

Quelque part entre Louiseville et Montréal. C'est du moins ce qu'indiquait le tableau de bord de mon bolide et ma langue collée sur le bouton de la radio (ne posez pas de question).

D'accord, il paraît qu'il faisait -45C à LaTuque. Mais quand même...

mardi 13 janvier 2009

La Voisine (seconde partie)

Les deux policiers, baraqués comme dans une publicité de gym de quartiers populaires, sont allés sonner chez ma comédienne du dessus. Quelqu'un d'autre avait dû se plaindre du bruit. Je me sentais un peu moins seul.

Quelques minutes plus tard, j'ai entendu les pas bottés des policiers redescendre l'escalier jusqu'à mon palier. Au même moment, la voisine a donné quelques coups de talons à mon plafond. C'est quand j'ai entendu les policiers frapper à ma porte que j'ai compris que ce petit air percussif se voulait moqueur.

En apercevant leur faciès avenant de tueurs de chats, je savais que les bonnes nouvelles étaient pour un autre jour.

- On peut entrer? m'a demandé le plus costaud

Avant même que j'aie eu le temps d'acquiescer à leur demande, ils sont entrés. Leur discrétion toute militaire jusqu'à la cuisine a eu tôt-fait de réveiller la petite à nouveau, cette fois curieuse de toute cette activité inhabituelle.

Lorsque je les ai rejoints, aucun des deux gentils gardiens de la paix publique n'a eu ne serait-ce qu'un regard vers la petite. Il y a eu quelques secondes de silence durant lesquelles je me suis demandé s'il était opportun de leur offrir une bière. Puis un des policiers, celui qui scrutait les diverses factures qui tapissaient mon frigo, s'est tourné vers moi, d'un bloc, comme si tout au nord de sa ceinture était soudé. Même ses yeux semblaient vissés dans leur orbite, ce qui l'obligeait à tourner toute le haut du corps chaque fois qu'il regardait dans une nouvelle direction, un peu à la manière d'un hibou. Il m'a regardé sans gentillesse, avant de briser le silence.

- Vous savez sans doute ce qui nous amène ici.

Il détachait ses syllabes comme une sorte de Terminator de marché aux puces. J'ai préféré opiner de la tête de peur de me mettre à rire si j'ouvrais la bouche. Ma bonne humeur s'est toutefois vite estompée.

- On a reçu une plainte contre vous. La dame d'en haut nous a appelé ce soir…

- …à 20h25…, a précisé le second clown.

Le premier a continué comme si ce tour de prise de parole était normal.

- …pour rapporter que son voisin…

- …vous...

C'était qui, ces drôles?

- …se mêlait de sa vie privée en écoutant au travers sa porte…

- …et en l'espionnant de derrière les rideaux.

Et toc. J'étais stupéfait. Non seulement j'avais à faire avec une voisine folle, mais les deux hurluberlus devant moi semblaient sortir de la même boîte de céréales.

lundi 5 janvier 2009

La Voisine (première partie)

Ça marchait fort en haut. Ça s’engueulait un peu aussi. De plus en plus, en fait. La petite s'est réveillée en pleurant.

- Papa, i'a du b'uit!

Faisait chier. Comment ils faisaient, dans le temps, avec leurs familles de 12 entassés dans des 6 et demi pièces doubles à l'étage? L'insonorisation ne devait pas être mieux qu'aujourd'hui. À moins qu'ils vivaient en noir et blanc, muets comme un film de Chaplin…

Ce n'était pourtant pas dans les habitudes de ces voisins-là. Ceux du dessous, oui, avec leur cuite de chèque mensuel. Celui d'à côté aussi, avec ses moult conquêtes alcoolisées de 3h du matin. Mais du dessus? On ne les voyait ni ne les entendait jamais. Des fantômes.

J'ai consolé la petite, lui ai expliqué que les voisins discutaient, qu'ils se tairaient bientôt. Mais ils me faisaient mentir et ne la fermaient pas. Surtout elle. Et quand les talons, comme les portes, se sont mis à claquer plus fort, je suis monté en me rappelant de surtout garder mon calme, rester poli…

- C'est quoi le problème? m'a servi comme entrée en matière la petite bonne femme d'en haut en ouvrant la porte. 22 ans, au plus 40 kilos, peignoir léger, cheveux en bataille. 10$ sur une engueulade d'après baise. Certains faisaient l'amour après une empoignade, d'autres faisaient le contraire. D'une manière ou l'autre, l'objectif reste habituellement de rééquilibrer les choses.

- C'est que…hum… On vous entend en bas. Ça a… hum… réveillé la petite.

- Il est même pas 20h30!

- C'est que… hum… 20h30, c'est une heure normale de dodo pour une enfant de 2 ans.

- La loi dit que je peux faire du bruit jusqu'à 23h.

- Je… hum… j'voudrais pas faire mon chiant, mais c'est faux: la loi dit que des cris, ça dérange, peu importe l'heure.

- Je criais pas.

- D'accord, vous ne criiez pas. Disons plutôt que... hum... vous traitiez votre copain de «méchant-cave-fini-à-bitte molle» pas mal fort, au point où la petite va me demander ce que ça signifie demain matin. Alors, je voulais juste vous demander de…

- J'ai deux trucs à vous dire, voisin: primo, je n'ai pas de copain; deuxio, je suis seule en ce moment, et tertio, je fais ce que je veux, je suis chez moi.

Bien ma chance. En plus de ne pas savoir compter, ma voisine fantôme se jouait des scènes de théâtre en solo et avait pour devise «vivre et laisse-moi vivre». Après, on se demande pourquoi les banlieues débordent…

- Je voulais seulement vous demander de faire un peu moins de bruit, c'est tout…

- Pas de ma faute si les murs sont en carton.

Sur ce message de paix publique, elle a claqué la porte. Je suis redescendu, dubitatif sur la suite des évènements.

Mais contrairement à ce que je croyais, ma comédienne en répétition n'a plus fait de bruit, du moins jusqu'à ce que je vois une voiture de police se garer devant chez moi, une demi-heure plus tard.

vendredi 2 janvier 2009

Obama dans ma vie de tous les jours...

Yes: Weekend!

Bilan (seconde partie)

Le 400e de Québec:
Fête réussie, contrairement à toutes les prédictions. Mais des Québécois chialent sur le fait que les Montréalais chialent, ce qui est faux: les Montréalais s'en foutent, à l'annonce de quoi des Québécois rechialent.

Sarkozy avoue fréquenter Carla Bruni :
Blanche Neige épouse un des nains.

CBC coupe au montage tous les artistes francophones à un gala télévisé soulignant la création musicale d'ici:
Personne ne s'en offense plus et la population réélit un gouvernement fédéraliste. On est fiers comme ça. Où est le love-in de 1995 de nos amis canadiens anglais?

Culture en péril:
On ignore l'effet véritable qu'aura eu cette vidéo lors des élections fédérales, mais elle aura le mérite d'intéresser bien des gens à la politique, ne serait-ce que quelques minutes.

Un journaliste Irakien lance ses chaussures à la tête du président Bush:
D'aucuns s'attristent qu'il n'ait atteint sa cible.

Les Canadiens de Montréal participent aux séries éliminatoires:
Les fans se déclarent soudains par milliers, arborant des fanions sur leur voiture telle une sorte de cavalerie mécanisée prise dans les embouteillages. Quelques uns profitent des victoires pour tout casser sur la rue Sainte-Catherine. On est fiers, ça se peut pas.

À près de 40 ans, forcés à la rue par de nouveaux proprios désireux d'habiter l'appartement où l'on habite, nous achetons notre première demeure:
Bye bye plateau; bonjour Rosemont. C'est petit, c'est vieux, c'est trop bien.

L'été dernier, Dame V., enceinte depuis quelques mois de jumeaux, les perd:
Aujourd'hui, elle est de nouveau enceinte. Le quatrième côté de la table attend patiemment son invité. Rendez-vous: juin 2009.