vendredi 28 novembre 2008

Mstislav - Troisième partie (de... quatre, tiens!)

J'aurais parié qu'en m'apercevant, Mstislav se serait ressaisi maladroitement et aurait rougi de malaise. Mais le grand Slave se rua plutôt dans mes bras pour se faire consoler. À cause de sa carrure et à cause de ma surprise, je pouvais à peine lui donner de petites tapes empathiques dans le dos. Sa musculature n'avait d'égal que ma surprise. Entre deux sanglots, Mstislav me dit:

- Je souis désolé, Dâniel…
- …
- …
- Désolé de quoi, Mstislav?
- Je ne pouvoir pas… finir… sabler plancher!

Puis Mstislav hoqueta de nouveaux pleurs puis se calma.

- Je fais plancher depouis 20 ans. C'est première fois que je fais comme oune femme.

Je ne pus retenir un haussement de sourcils empreint de surprise.

- Que veux-tou... veux-tu dire?

Il resta silencieux, la tête sur mon épaule. Je tentai de l'obliger à se redresser en repoussant ses épaules mais j'étais forcé d'admettre que j'étais sous sa masse, à sa merci. Heureusement qu'il comprit mon malaise et qu'il se releva.

Mstislav sembla revigoré par ma question et quelques secondes plus tard, il eut été impossible de deviner que cet homme pleurait à chaudes larmes sur sa machine quelques minutes plus tôt.

- Vous avez déjà vou oune femme sabler plancher, Dâniel?

Je regardai mon plancher de cuisine et dus admettre que c'était le premier que je faisais sabler. Il m'était donc impossible de savoir si des femmes avaient pour gagne-pain le métier poussiéreux qu'exerçait mon géant pleurnichard.

- En effet, je n'ai jamais vu de femme sabler de plancher. Peut-être est-ce parce que le travail est physiquement trop exigeant pour elles?

Mstislav parut me trouver très drôle et il se montra heureux de mon ignorance.

- Chez-moi, ma femme battre moi si je dis âneries comme ça, dit-il, moqueur.

J'essayai d'imaginer sa femme et honnêtement, j 'eus un frisson.

samedi 22 novembre 2008

Mstislav - Seconde partie (de trois)

Mstislav revint 10 minutes plus tard avec une énergie nouvelle. Sans dire un mot, il reprit son poste derrière l'engin. Au moment où il mit le contact, je crus constater un éclat nouveau dans ses yeux et il me sembla que sa rosacée avait légèrement augmenté. J'attribuai cela à la probable rasade de vodka qu'il avait dû se glisser dans le gosier pendant sa pause puis j'allai vaquer à d'autres occupations pendant qu'il entreprenait la seconde moitié du plancher de cuisine.

Comme pour la première moitié, son travail fut entrecoupé de moult pauses où le Russe parlait au parquet de plus en plus fort. Au quatrième arrêt, Mstislav se mit à vociférer si fort que je n'osai sortir du salon de peur de ne pas y revenir vivant.

- Что вы, дорогой любви, я зайду ромашки песни птиц! Мы будем делать детей в поле цветы цвет ваших глаз!
(Étant donné que ce blogue se veut de bon goût - et qu'accessoirement, je ne comprends rien du russe - je n'ai pas transcrit fidèlement les propos entendus…)

Mstislav continua à engueuler ce que je supposai être le plancher pendant trois minutes avant de tranquillement s'essouffler et de repartir la sableuse. Mais la machine se tut quelque secondes plus tard et laissa place à un lourd silence. Ce silence dura longtemps, si longtemps que je crus nécessaire d'aller voir à la cuisine ce qui s'y passait.

Quelle ne fut pas ma surprise de trouver le géant slave le front appuyé sur ses avant-bras, pleurant silencieusement de grosses larmes qui lui dessinaient des coulées propres sur ses joues couvertes de poussière. Je restai paralysé, muet, à quelques mètres d'un homme empreint d'une incroyable peine, trop loin pour le consoler mais trop près pour faire semblant de n'avoir rien vu.

mardi 18 novembre 2008

Mstislav - Première partie

Avant d'ouvrir la porte, je regardai ma montre: 9h pile. L'homme faisait honneur à sa réputation de ponctualité parfaite. Je reconnus tout de suite l'accent slave avec lequel j'avais pris rendez-vous quelques jours auparavant.

- Bonnjhour, Dâniel. Je souis Mstislav. Je souis ici pour plancher de couisine.

Ma main droite se perdit alors dans une immense paluche qui, en d'autres temps, aurait pu étrangler trois Kazakhs d'une seule poigne, puis, je me collai au mur pour laisser passer cette masse de muscles slaves qui traînait derrière elle une sableuse à plancher de près de 200 kilos comme si c'était un sac de golf.

Une fois dans la cuisine, l'homme s'agenouilla, flatta les lattes noircies par des années de prélart, puis renifla le plancher dans une position rappelant la prière musulmane. Je souris discrètement devant l'amusant manège. Mstislav resta dans cette position étrange suffisamment longtemps pour que j'en ressente un léger malaise. Au moment où je me décidais de partir dans une autre pièce pour laisser le Russe à sa méditation, il lança d'une voix forte mais posée:

- Chêne. 80 ans. Prélart depouis 50 ans. Peu colle. Beaucoup cire. Plous de travail. Au moins oune heure avant couche.

Il inspira puis laissa tomber, comme si c'était dans l'ordre normal des choses:

- Il y va avoir soupplément.

J'étais incapable de saisir si c'était une blague, une menace, une promesse ou un simple constat. Sans attendre une réponse de ma part, il posa un masque sur son visage, brancha la bête chromée qu'il avait rentrée avec lui, se sangla à elle, l'enligna avec les lattes, et fit basculer l'interrupteur. Le bruit et la poussière me chassèrent et je lassai le colosse à son ouvrage.

Depuis le salon, j'entendais la sableuse arrêter et repartir à intervalles réguliers. Pendant chaque silence, j'entendais l'homme parler doucement en russe, comme s'il dialoguait avec le plancher. Soudainement, il cria:

-Dâniel!

Je sortis de mon refuge. Dans un nuage de poussière de bois, l'homme était appuyé sur son engin maintenant recouvert d'une poudre beige.

- Je vais aller boire, dit Mstislav en toussotant. Pour poussière, précisa-t-il. Je revenir vite et poursouivre travail. Puis il sortit par la porte arrière.

Un peu moins de la moitié du plancher avait été sablée et sa nouvelle allure me confirmait que j'avais fait le bon choix, mais les 90 minutes qu'avait exigées le sablage de la première moitié de la surface n'annonçait rien de bon quant à la somme au bas de la facture que me tendrait bientôt le Russe.

samedi 15 novembre 2008

...

Désolé pour les longues pauses entre les billets. Entre les journées de boulot, je prépare notre nouveau chez-nous. Eh oui: deuxième déménagement en moins de 12 mois. La joie. Ce devrait être le dernier pour quelque temps, par contre.

D'ici le déménagement, il reste une tonne de trucs à faire, ne serait-ce que pour avoir un évier de cuisine. Je sais, vous allez dire que je suis délicat et j'ai un besoin formidable de luxe, mais j'ai jugé qu'un évier de cuisine serait bien. Un bout de comptoir aussi. Une vraie castafiore, je suis.

Il reste aussi de la peinture à étendre sur les murs, ce qui serait pas mal facile si ce n'était de ces foutues moulures partout. Des kilomètres de découpage.

Et je ne vous parle pas de la plomberie bouchée, du toit usé, du plancher à dénuder, à sabler et à vernir... En moins de deux semaines, la pizzeria reconnaît ma voix au téléphone, le resto du coin sait combien de crème dans mon café (noir!) et le quincailler est devenu mon confident. Même le gars qui a fait mon plancher est devenu mon ami Facebook, c'est dire...

Alors ceci: vous patientez un brin jusqu'à ce que je me sois installé, ou vous venez m'aider et vous patientez pareil jusqu'à ce que je sois installé.

C'est votre choix.

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Je ne vous oblige à rien.


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Il me reste 2 pinceaux...



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J'disais ça d'même...

mardi 4 novembre 2008

En cette première journée de l'été des Indiens (pas l'été indien, M.Dassin, l'été DES Indiens), comment trouver la vie moche?

Dans mon nouveau quartier, tout est plus lent qu'à l'endroit où je vivais (où je vis encore pour quelques jours) avant: les gens y marchent lentement, les ouvrier font la pause sur le trottoir, même le temps se prend.

À un jet de pierre de mon nouveau chez moi, il y a un petit resto de rien. Une porte, une grande fenêtre, une enseigne peinte à la main. Même pas sur une rue commerciale. Je m'y assois pour un deux-œufs-tournés de fin d'avant-midi. La serveuse appelle la cuisinière en lui criant maman et elle connaît le prénom des deux petits vieux assis au comptoir. Sur un tableau au mur, le menu du jour: une soupe aux légumes ou bœuf et orge, du pâté chinois ou des bâtonnets de poisson, et du pouding chômeur ou du pouding au riz. Dans le frigo, entre le Pepsi et le 7up, un gâteau on ne peut plus maison avec un glaçage blanc décoré de petits bonbons de toutes les couleurs comme ceux utilisés par notre mère à notre quatrième anniversaire. Un troisième vieux entre, salue les deux premiers et déroule son Journal de Montréal d'hier. Il commande du foie avec des oignons.

Je suis tout près, je pourrais presque le voir si je me dressais sur la pointe des pieds, et pourtant, je suis à des années-lumière du plateau.

Quelque part, sur Bellechasse, le temps se prend.

Vous n'avez pas idée à quel point je suis heureux.

dimanche 2 novembre 2008

Allons voir les bêtes

Picture this… (petit clin d'œil à Sophia, des Golden Girls, dont les vieilles croûtes comme moi se souviennent peut-être…)

Montréal
Automne 2008

Une boite de papier mouchoirs, un appareil photo, quelques paires de mitaines grandeur 3 ans, un petit autobus jaune.

Mission: Accompagner un groupe de 8 enfants de la garderie à l'Écomuseum de Sainte-Anne-de-Bellevue, petit zoo de faune locale fort sympathique.

Niveau de difficulté: doigts dans le nez, d'autant plus qu'on est 4 adultes pour 8 enfants. Mais le doigt dans le nez deviendra doigt dans l'œil…

Je serai en charge de ma fille et de Mohamed, le petit préféré à Romi. Tout va pour le mieux, il fait beau, il fait à peine frais, ça morve un peu, mais juste un peu.

Le voyage en autobus polaire (scolaire, Romi, sco-laire) se passe à merveille. Personne ne s'impatiente, personne n'est malade (sauf une petite d'un autre groupe, mais j'ignore en plaignant un peu son accompagnatrice) et je prie pour que ça reste ainsi.

Arrivés à destination, c'est la ruée vers la porte. Allez, vivement les loups, les ours, les renards, les lynx, les harfangs, la vie quoi, celle qui est à notre porte et que l'on ne voit jamais sauf couchée sur le flanc sur le bas-côté des routes.

Les portes s'ouvrent et ma fille crie de joie et entre les «C'est mon papa À MOI!» et les «Il est où le lion?», notre petit trio s'élance entre les enclos. Le gentil groupuscule va à la rencontre d'animaux tout droit sortis de leurs livres d'images. Bien sûr, les enfants crient un peu trop fort, mais ça respire le bonheur.

Bien sûr, le charme des harfangs, des pécans et des caribous, aussi musqué soit-il, s'épuise vite, et un se lance en criant dans les grilles alors qu'un autre part en courant dans la mauvaise direction. Puis un autre lambine alors que son compagnon en profite pour tester le goût du fil électrifié (heureusement - ou malheureusement - hors d'usage) autour d'un enclos. Les parents sont partout en nulle part, jusqu'au moment où un enfant lance ses mitaines dans l'enclos aux loups, ce qui ramènera tous les enfants jusque-là dispersés au même endroit à faire la même chose: lancer leurs mitaines là où les parents n'ont n'a jamais posé les pieds…

À 13h, moi et les autres parents étions de retour à la garderie pour y laisser les enfants le temps de la sieste. Et c'est avec une vaste admiration pour l'éducatrice que nous lui avons abandonné les 8 marmots.

***

Pour être bien franc, ç'aurait pu être une opération marketing pour demander une augmentation de salaire pour les éducatrices.

Elles m'auraient convaincu.