vendredi 18 juillet 2008

Les Amoureux de la rue Drolet - conte naïf pour patienter

Pierre et Betty habitaient ensemble sur la rue Des Érables depuis longtemps. Certains disaient même depuis toujours. Ça peut être long, toujours. Pas pour eux. Betty aimait encore et toujours Pierre, et en retour, il l’aimait tout autant, et même un peu plus quand il le pouvait. Cet amour, Pierre le disait à tous. Je l’aime. Je l’aime. Je l’aime. Ça se répète, ces trucs-là. Et il répétait. Toujours. Enfin, pas toujours, mais souvent et depuis longtemps. Il partageait ainsi un sentiment grand comme ça qui lui avait donné deux enfants et plusieurs sourires, tous devenus grands avec le temps. Cependant, le problème avec les choses qui grandissent, c’est qu’après un certain temps, elles quittent la maison. Derrière elles, elles ne laissent que du silence. Et le silence, surtout devenu grand, ne part pas facilement.

Pierre avait ainsi continué à dire je l’aime, je l’aime, je l’aime. Mais c’est traître, les répétitions. On vient à s’habituer, à dire les choses machinalement, sans trop y penser. On n’a plus toujours les mots à la même place que le coeur.

Un jour qu’il marchait la rue Drolet, Pierre a rencontré Hélène. Elle s’était un peu foulé la cheville entre deux dalles de trottoir mal nivelées. Pierre l’avait soutenue, le temps que passe la douleur. Cette dernière a vite fait son chemin parce que des étincelles petites comme tout prenaient toute la place. Et les yeux avaient beau tenter de se fuir, ils se retrouvaient toujours. Ça sait où chercher, des yeux, quand ça veut se trouver. Ça a été une rencontre comme peu le vivent mais tous le souhaitent. Une rencontre qui arrête tout, les douleurs aux chevilles et les répétitions.

Ce soir-là, Pierre est rentré à la maison et il ne pensait plus qu’à cette Hélène. Betty n’a rien vu. Elle a bien senti que quelque chose n’était pas comme d’habitude. C’était peut-être le boulot, peut-être la météo. Il ne fallait pas trop chercher. Parfois, quand ça sent la fumée, on ne fait qu’enlever la pile du détecteur pour ne pas qu’il sonne. On apprend à faire ce genre de trucs quand on reste longtemps avec quelqu’un. Mais c’est risqué, les trucs. C’est comme faire du vélo sans les mains.

Les jours qui ont suivi, Pierre est retourné souvent sur la rue Drolet. Il voulait voir si les étincelles brûlaient toujours. Elles y brûlaient toujours. Puis les étincelles sont devenues des étoiles, puis des soleils, puis de nouveaux mondes à découvrir. C’est difficile à cacher, un nouveau monde. Et Pierre n’a pu le cacher longtemps à Betty. Il y avait trop de lumière. Les questions ont commencé à se faire insistantes. Des questions qui connaissaient déjà les réponses mais qui faisaient semblant de ne pas savoir. Betty avait besoin de les entendre, ces réponses. Pour les graver quelque part et souvent y revenir, juste pour être sûre. Et Betty a pleuré. Pierre aussi, il faut l’avouer. Mais les larmes, ça n’éteint pas les étoiles.

Plusieurs auraient crié ou se seraient débattus. Pas Betty. Pas même un peu de colère. Enfin si, un peu, mais si peu que Pierre en a été presque déçu. Comment Betty pouvait donner des coups de pieds alors qu’elle était à genoux? Il y avait trop de tristesse pour laisser sortir quoi que ce soit. D’ailleurs, déjà trop l'avait quitté. Elle a fermé la porte. Elle a tiré les rideaux, comme au théâtre quand les comédiens n’ont plus de mots à se mettre dans la bouche. Tout juste s’il y a eu un salut.

Betty est restée seule dans son logement de la rue Des Érables. Elle est pas mal disparue et depuis, on ne l’a plus revue. Enfin oui, parfois. Mais même quand on la regardait bien, on ne la voyait presque plus.

Pierre, lui, est parti habiter avec Hélène. Il a continué d’arpenter les trottoirs sous les arbres de la rue Drolet avec le sourire d’Hélène à son bras. Leurs pas se moquaient bien des dalles mal ajustées. Ils se sont fait des promesses un peu impossibles qu’ils tiendront quelque temps à bout de bras, à bout de rires, à bout de soupirs entre les draps. Pierre a continué à parler de son amour avec des mots si beaux et si doux qu’en les entendant, on se surprend à soupirer et à être un peu jaloux.

Parfois, quand je marche sur Des Érables, je pense à Betty, à cette femme soudainement devenue trop petite pour les promesses d’éternité. Je me demande si elle ouvrira un jour ses rideaux à nouveau.

En pensant à elle, je me dis que parfois, l’amour, le vrai, le grand, est une chose trop belle, et que trop de beauté en même temps, ça donne mal au cœur à quelqu’un, ça ne peut pas faire autrement.

13 commentaires:

  1. Avec ce texte, tu es fort bien placé pour parler de beauté, cher Daniel.
    J'ai un petit début de nausée, là...

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  2. Wow ... C'est très beau ce texte, vraiment !

    Euhh .... Pas sûr de bien comprendre le commentaire de galad ... :S

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  3. C'est un très beau texte que j'aurais aimé avoir écrit...

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  4. Vegekat: Il suffit de relire le dernier paragraphe du billet.

    (Pauvre de moi, toujours incomprise...)

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  5. Galad : Ah ben oui !!! Je comprends là !! Désolé ! ;-) Sur le moment je croyais plutôt que ton commentaire se voulait d'être une pointe de sarcasme, je t'avais effectivement très mal comprise !! :D

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  6. Voilà une bien jolie façon de faire patienter le lecteur jusqu'au conte suivant.
    J'aime beucoup ce texte.

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  7. Betty un jour a vu poindre un rayon de soleil à travers ses rideaux. Elle les a ouverts pour pouvoir mieux l'apprécier... et jamais refermés depuis.

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  8. C'est triste, et j'ai beaucoup aimé le lire.

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  9. Un très beau texte. La dernière phrase est si juste.

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  10. Merci pour ce texte magnifique. Une petite pensée pour toutes les Betty de la terre, en espérant qu'elles laissent la lumière les toucher de nouveau.

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  11. Désolée, mais moi, je n'aime pas du tout!
    Oh là!! Qu'on ne s'énerve pas pour ça... je ne parle pas de l'écriture, qui est, elle, parfaite, mais du sujet, du traitement... Tellement prévisible... tellement 'homme'... ou 'femme' au choix... Ben oui, trop humain, quoi! Parce que oui, c'est très prévisible et stéréotypé... En plus d'être triste à mourir et nul à chier... Une fin de 450... (celles des personnages, j'espère me faire ien comprendre!!!) que je ne souhaite à personne...
    Ah oui... j'oublais de préciser... je préfère les contes de fées... c'est encore plus nauséeux... et surtout, il n'y a pas de fin... à part pour les méchants... ;-))
    J'ai bien aimé le lire pourtant, ce conte à mourir debout!

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  12. @ Jo: le traitement, homme ou femme peu importe. Il est douloureusement réaliste le traitement.
    Les histoires n'ont pas à être inventées, juste racontées.

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  13. @justeunpeufrustree : Je trouve ça drôle de se causer comme ça, par blog interposé... Le réalisme, j'en ai eu ma dose, dans la vraie vie et dans les livres... alors, les histoires, j'aime maintenant qu'elles finissent bien... ;-))
    Ça en prends pour tous les goûts!

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