mardi 13 mai 2008

Don Pedro (1ère partie de 3)

Il ne faut pas lui en vouloir. Tout est question d’équilibre. Il ne doit pas oublier de ne pas tomber quand il se tient debout. Dès que les garde-fous le réveillent. Dès qu’il se lève. Tous les matins, il se lève. Ce n’est pas rien. Ce n’est pas comme d’autres, comme les vieux de son étage, ces grands flancs fous.

Il s’appelle Pierrot. Comme l’ami de celui qui a perdu sa plume, comme le petit frisé à la maternelle, comme le fou du village du temps des châteaux et des dragons et des jolies dans les donjons. Pierrot. C’est son nom. Pas à la mode. À contretemps. C’est un nom bémol, qui sonne un peu plus petit. Jamais tout à fait à la hauteur, jamais la note juste. Qui n’est pas «la», qui essaie de faire comme «si». Un nom qui n’évoque rien de bien intelligent. Un plomb au bout d’une ligne, un pois dans une tête, une ancre à bateau. Une ancre avec deux pieds de chaîne. Deux pieds idiots. Deux pieds inutiles car il navigue en eaux profondes, en eaux creuses. Pierrot.

Un jour, il y a longtemps, un garde-fou a bien vu que Pierrot ne lui allait pas. Pas comme un gant, en tout cas. Il a bien vu que ça n’allait pas avec sa tête. Il n’était pas fou. On ne pouvait pas présenter une masse de cent kilos avec un nom comme Pierrot. Ça faisait sourire. Pierrot aussi il souriait. Mais dans sa tête il ne souriait pas. C’est comme ça. Quand il ne sourit pas, il sourit pareil. C’est idiot, il le sait. Un jour, ce garde-fou l’a appelé Don Pedro. Pour rien. Parce que Pierrot a les cheveux noirs, parce qu’il a un nez d’aigle, parce qu’il a la peau foncée. Parce que quand les autres se moquent trop, parce que quand ils le fatiguent, il leur parle arabe en espagnol. Mais ce n’est pas vrai, il ne parle pas arabe en espagnol. Mais ils ne le savent pas car il fait semblant, il fait comme si. Il sait lire et il sait parler. Mais pas l’arabe en espagnol. Juste sa langue à lui. Il n’est pas si fou que ça. Il n’est pas aussi fou que tous le croient. Quand ils se taisent, Pierrot parle de ses vagues, mais ils ne comprennent jamais rien. Ils disent qu’il n’est pas tout à fait là. Ils confondent toujours tout. Ils confondent la mer et le désert, son bateau et les coquilles de noix. Ils disent nut. Pierrot sait que nut ça veut dire noix en arabe en espagnol. Il ne comprend pas tout mais il faut les comprendre : ils sont un peu fous aussi. Souvent, ils le sont pas mal plus que lui, même s’ils sont ses camarades, même s’ils vivent à la même place, dans la même maison, le même monde.

Comme ce sont les seules personnes à qui il parle, il fait le fou comme eux. Il fait le fou plus que nécessaire. Il parle leur langue. Il parle en boucle sans jamais rien boucler. Sans arrêt, il boucle, il cerne, il fatigue. Alors il se tait. Mais même quand il se tait, il continue. Il parle dans sa tête. Il s’entretient. Il s’entretient sinon il use. Il le fait sans arrêt. Il en a pris l’habitude, il a pris pli, il est devenu un peu plus fou que nécessaire, pour être comme les autres, pour être un peu moins seul. Il s'amuse plus avec quelqu'un avec qui parler. Plus il est fou, plus il rit. Mais il n’est pas si fou. Il s’appelle Pierrot et il divague souvent. Il vogue dans ses vagues. Jusqu’à son continent. Jusqu’au pays de Don Pedro. Il s’appelle Pierrot.

2 commentaires:

  1. Merci m'sieur.
    On attend les parties deux et trois de la folie douce de l'ami, maintenant...

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