mardi 13 novembre 2007

Carton

La voisine du haut a le pied lourd. Elle marche du talon du pas assuré de celle qui sait où elle va. Pourtant elle va de la cuisine au salon, du salon à la cuisine, et ce, sans arrêt, 28 heures par jour. Ma chambre est sous sa cuisine et il est trois heures du matin, c’est dire si je l’entends marcher.

Dans la chambre contiguë à la mienne, mon voisin érotomane baise tous les jours, et cette nuit, un transsexuel un peu moche en processus de métamorphose. Après que mon voisin ait joui sans discrétion, c’est au tour du travelo de se faire pomper. Après qu’il ait joui à son tour, le deux discutent de lubrifiant, de changement de sexe, d’hormones, de thérapie. De mon lit, je pourrais participer à la discussion sans lever la voix. J’évalue rapidement à 2mm l’épaisseur du carton qui compose mes murs.

Je les ai avertis pourtant. Dix ou vingt fois, je ne sais plus. Tous ces pourparlers ne m’ont laissé qu’une terrible envie d’homicides. Alors je ronge mon frein, je porte les bouchons, mais je sais bien qu’un jour, je ne serai plus capable.

En bas, mon voisin rentre de la taverne. Sa matronne l’engueule vertement. Face à sa bonne femme, sa plaidoirie se limite à un bégaiement de deux ou trois syllabes inintelligibles. Il se défend comme il peut mais il ne peut pas beaucoup. Elle lève le ton et finit par le lancer dans le mur. Je signale le 911 sans ouvrir la lumière. Quand le policier entend mon nom, il me demande comment ça va et si c’est la commande habituelle. Je lui dis que c’est reparti comme en 40, que c’est à nouveau «une grosse patate avec une p’tite bière sans effervescence». Il soupire, mais je devine un sourire; ça les amuse toujours de venir visiter mes voisins d’en bas. La police arrive quelques minutes plus tard. Quand les flics repartiront, la grosse matronne frappera au plafond avec son balai en me criant de me mêler de mes affaires.

Pendant que le saoulon du bas se refait battre, la voisine du haut se fait à manger. Je ne sais trop quoi, mais elle tranche des trucs assez durs, des carottes en bois si je me fie aux coups de couteaux sur le comptoir, et elle échappe sa planche à découper sur le plancher. Trois fois.

4h15. Je ne dors toujours pas. En bas, la voisine doit avoir assommé son imbibé et à côté, ils se sont tus après avoir convenu que l’opération attendrait encore quelques mois. La voisine du haut danse maintenant au son d’une musique rythmée. Je cogne au plafond à mon tour. Elle frappe le plancher du talon. Si je sors de cette chambre, c’est pour aller en prison, c’est sûr.

Le lendemain, à l’usine de boîtes de carton où je bosse, un journalier me traite de petit bourgeois douillet quand il apprend que j’habite sur le plateau. Pas de chance pour lui, j’ai un exacto dans la main. La lame est courte et émoussée, mais j'ai pas mal de détermination.

***

Ce matin, je vois mes voisins à la télé qui disent que j'étais pourtant un voisin un peu trop discret, qu'ils se doutaient bien qu'il y avait quelque chose de pas net avec moi. Je ferme le poste.

Dans quelques minutes, je reçois mon avocat pour connaître la date de ma comparution. J’espère que ce sera dans longtemps et que la peine sera lourde; vous n’avez pas idée comme on dort bien dans ma cellule.

25 commentaires:

  1. Une chance que tu chantes mal...parce que j'aime tant lire ce que tu écris.

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  2. Démétan,

    C'est tellement, tellement plaisant de venir s'asseoir sur les nénuphars de ton étang !

    Continue d'écrire.
    Tu rends le café du matin encore meilleur, hé.

    Chantale

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  3. Il était mignon du haut de ses 2 ans. Il tenait à peine debout, typique du gamin qui découvre l'indépendance : il ne marche pas, il tombe et se rattrape à chaque pas, en avançant de plus en plus vite. Ses petits chaussons trop chous, avec la plante bien plate et rigide pour lui donner de la stabilité. Et d'une vivacité ! il voulait faire le ménage comme maman, il rangeait bien ses balles dans la boîte et remettait son coffre à jouet en place après s'être amusé comme un petit fou tout en découvrant la loi de la gravité.

    Combien de fois j'ai fantasmé de le buter à coup de barre à mine ce petit con de l'appartement du dessus, quand il se mettait à courir dans tous les sens, à pousser les chaises, à jeter perpétuellement sa balle sur le parquet, et à hurler en pleine nuit. Ravie qu'ils aient déménagé il y a un mois ces sales cons de voisins !

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  4. Toujours sous le charme de l'écriture...

    Merci!

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  5. Dame V m'en a si souvent parlé entre nos paravents beiges... J'ai eu l'impression d'être avec elle en lisant cette petite histoire que je sais véridique et de sentir son (oups votre) exaspération!

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  6. Toi Julie, t'as eu droit à la version intégrale (avec le musicien) - parce que oui, lectrices zé lecteurs, tout cela (sauf l'homicide... quoi que...) est du vrai de vrai.

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  7. C'était où c't'appart sul plateau? J'suis insomniaque et je n'ai pas de tévé! Peut-être ne l'a-t-on pas encore alloué. ;-)

    Lâches pas..... Tsé?

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  8. Tiens, ça faisait longtemps qu'on n'avait pas eu de tes "nouvelles"...

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  9. Ça se lit tellement bien, tellement bon.

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  10. Étrangement, mon dernier billet parle aussi des habitations mal isolé...je n'ai pas fini en prison par contre!

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  11. Mais ce qu'on est bien dans le 450!
    En plus d'être un plaisir à lire,ça me rapelle de...drôle...de souvenir du 514!

    Merci Dan!

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  12. Les joies de la location!Et le plaisir de ne pas choisir ses voisins de palier!

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  13. Arf !
    J'ai rédigé un petit texte aussi sur le sujet. Je me pensais d'autant plus légitime parce que je vis (encore) en résidence étudiante.
    Tu as oublié juste un détail qui, pour moi, finis de m'ébouillanter la patience : le rire de dinde, gradué, con et presque sans fin des voisines ou invitées. Celui qui te grille les neurones, la crécelle atomique, brrrr, j'enrage rien que d'en causer !

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  14. je visite assez régulièrement ton blog et à chaque fois je me régale....
    Il y a quelques années, j'ai aussi connu ça, assise dans ma cuisine j'entendais les ébats du locataire d'à côté (il était dans un studio et sa chambre communiquait avec ma cuisine) en plus, je le connaissais on avait été à l'école ensemble....
    Enfin, ça m'a rappellé des souvenirs, surtout ne te met pas au chant, c'est tellement mieux quand tu racontes...
    bonne continuation

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  15. J'ai lu ça
    'Alors je ronge mon frein'
    j'ai souri... joli dans ce paragraphe.
    j'ai lu le reste...

    tension crescendo. chutte inattendue.
    superbe.

    B

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  16. Encore une fois tu me clanches dans les anecdotes... Moi qui me plaignait l'autre jour d'avoir un cowboy sympathique (musicien) en bas de chez moi!

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  17. Vu le nombre de commentaires, tu as trouvé le bon sujet:) C'est vrai que ça interpelle bien des gens...Je me souviens d'un condo où mes voisins étaient trop jeunes pour baisser le son de leurs batailles surdosées en décibels autant qu'en excitants chimiques... M'enfin, avec l'âge, on s'adapte à tout, ou l'on finit par acheter une maison sans voisin:) Fidèlement-toujours, Vaguedemain***

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  18. Mauvaise publicité pour votre appartement, mais si bonne pour vous! J'aime beaucoup lire vos billets.

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  19. Bonjour Daniel,
    Je cherche colocataire.... pas cher....
    coin tranquille à la campagne....Peut-être un petit peu loin .... tout juste 1:30 heures de Montréal.....mais il faut prendre gare au Cerf... ils ont la mauvaise habitude de piétiner mon entrée....
    Et le pire c'est qu'on oublie de se lever.....c'est le chant des oiseaux qui nous réveillent !!!

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  20. Je découvre ton blog et il y a vraiment des textes très chouettes ...

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  21. Super ce texte.
    La chute est géniale !
    Tu as bien fait de laisser tomber le chant :)

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