jeudi 29 mars 2007

La Faille

Tous les soirs, Sophie regardait le plafond. Parfois de bonheur, parfois d’extase, rarement d’ennui. Elle s’imaginait tout le vent, toute la pluie, tout le froid duquel elle était protégée depuis qu’elle dormait avec son copain à ses côtés. Un soir, elle remarqua une fissure, petite, de rien du tout. Sophie la montra à son copain qui ne vit rien. N’empêche que l’entaille y était, que le plâtre de leur chambre à coucher se lézardait imperceptiblement.

Les années passèrent et toute vibration, chaque camion dans la rue, chaque iceberg sur la coque allongeait la fissure, approfondissait la blessure. Les retouches esthétiques ne firent qu'un temps, et le jour vint où le plâtre sec commença à s’effriter. Chaque fois qu’ils se couchaient, ils retrouvaient des morceaux sur l’oreiller. Ils eurent beau passer l’aspirateur, secouer les draps, il restait toujours des petits fragments, une fine poussière qui s’accumulait entre les lèvres et sous les paupières. Sophie s’impatienta, demanda à son copain de faire quelque chose, ce à quoi il répondit que si c’était son travail à elle de réparer les plafonds des chambres à coucher des autres, pourquoi ne faisait-elle rien pour le leur? Mais c’est une loi naturelle bien simple; un réparateur de plafond ne peut réparer les fissures qui l’affligent, comme un dentiste ne peut se plomber les dents ou un juge se juger.

La poussière de plâtre, inconfortable, finit par les pousser hors du lit, faire dormir le copain sur le divan, alors que Sophie, de son côté, ne dormait plus depuis longtemps. Ce ne fut long avant que les fissures ne sillonnent la pièce, la maison en entier, et les courants d’air donnaient des frissons. Exténué par les froids, éreinté par les mauvais ressorts, le copain choisit de partir, le pas lourd, le regard en rase-mottes.

Ce soir-là, les oreilles pleines du claquement de la porte, Sophie compta les gouffres. Et entre deux pleurs, dans une fissure devenue faille, elle jura apercevoir, le temps d’un instant, la lueur d’un ciel sans nuage.

4 commentaires:

  1. tout y est,
    du choix des mots aux définitives sensations que des mots peuvent...dire vraiment.

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  2. L'analogie est très forte. Je suis soufflée par la puissance de tes mots.

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  3. La bible, c'était donc vous...

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  4. Ouais, vraiment du talent M. Rondeau. Et si je comprends bien la logique, les écrivains ne peuvent s'écrire à eux-mêmes d'où ce désir d'être publié...

    -chill &&

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