jeudi 1 février 2007

Sauver du temps

Son regard a soutenu le sien. Chose rare, le sien en a fait de même. Par hasard au début. Pas par défi comme souvent. Puis par bien-être. Un peu par bonheur aussi. Autour de ses yeux verts, un visage sûrement trop jeune et décidément trop beau. Le tout d’une apparente assurance et d’une superficielle froideur comme seules en sont capables les rousses.

Deux stations comme ça, à ne pas baisser les yeux, à surtout ne pas baisser les yeux.

Ils sont descendus tous les deux à la station Lionel-Groulx, non sans sourire de ce hasard nullement significatif. Elle a arrêté ses pas sur le quai d’en face, le regard posé sur les rails qui menaient à Honoré-Beaugrand. Lui devait remonter à la surface, continuer vers le bus. Debout sur une marche de l’escalier roulant, il ne pensait qu’à elle, à leurs chemins déjà divergents, comme après cinq ans de vie commune. Quand il a compris qu'il devait absolument la revoir, il a entrepris de redescendre un escalier roulant qui insistait pour monter. Il a bousculé ceux qui le suivaient, il a trébuché en arrivant en bas. À peine s'il s'en est rendu compte.

Il lui a tendu un bout de papier sur lequel était écrit un nom, le sien, et un numéro de téléphone, le sien aussi.
Elle lui a souri, gênée. Il est reparti, fier.

Il pensait qu’elle ne l’appellerait jamais.
Elle ne l’a jamais appelé.
S'il avait su, il l’aurait giflée, là, sur le quai. Ils auraient sauvé du temps.

9 commentaires:

  1. Texte massue. Concis. Clair. Percutant. J'adore!

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  2. Excellent texte, Démétan.

    Votre style s'affine encore.

    Les parallélismes sont très signifiants ici : ils montrent bien la rencontre parallèle de deux personnes... qui se rencontrent, se croisent sans... sans vraiment se croiser. Comme deux rames de métro qui se regardent perpétuellement, placées l'une en face de l'autre... mais ne se superposeront jamais.

    Chapeau.

    Chantale

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  3. Étrange sensation en lisant ce texte...
    J'ai vécu cette même histoire, il y a quelques années,à quelques détails près... La station finale était Berri, et moi je l'ai rappelé, mais après être tombée deux fois sur son répondeur (sans laisser de message, fallait quand même pas trop pousser le destin)je me suis dit que nous avions passé notre tour. Peut-être que ton personnage a fait la même chose?
    Et je ne suis pas rousse.

    Fran

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  4. La violence, ça sauve du temps?

    Je n'aime tellement pas ta fin. Mais comme il s'agit d'une violence tellement courante, celle de biene des hommes envers bien des femmes (surtout quand ils n'ont pas ce qu'ils veulent), va-t-on seulement s'en préoccuper... Moi, si.

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  5. Moi non plus je n'aime pas la fin!

    Mais le texte est excellent. Comme toujours.

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  6. Du haut de mes 55 ans d'arrogance si française, je commenterai juste d'un mot: Félicitation!:) J'ai envie d'ajouter quand-même mon point de vue : Inutile de risquer l'entorse dans un escalier, car ce qui doit arriver arrivera à son heure, les belles amours comme les gifles les plus cuisantes..!:) Vaguedemain***

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  7. Violence? N'importe quoi! C'est un texte de fiction. Il ne faut pas grimper aux barricades à chaque fois que ça ne se termine pas dans un bain moussant avec des chandelles! Et je ne crois pas non plus que bien des hommes usent de violence quand ils n'ont pas ce qu'ils veulent!

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  8. Eh Pat!
    Comme tu es violent dans tes propos plein de points d'exclamations et d'affirmations.

    Vilain petit garnement.
    Je suis surpris de voir que tu ne sois pas déjà en d'dans...


    J. Vérité Zenne R.
    [comment on accorde ça "zen"?]

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  9. N'y a t'il pas plus violent que la naissance du désir du baiser?

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