mardi 27 juin 2006

Huile, acide et autres fuyants fluides

En bas de l’escalier, sur le bord du trottoir, attend ma moto, ce petit bout d’insensé, de semblant d’indépendance, d’éternelle adolescence sur des voies asphaltées toutes tracées et planes, entre les lignes blanches qui s’écalent par bouts. La moto attend que j’aie quelques minutes pour une odeur d’ancienne vie. J’ai une moto depuis mes 18 ans, moi qui ai, comme Dalida, deux fois cela aujourd’hui.
Ma moto attend, car j’ai le temps libre abondant et rare à la fois, car le siège arrière n’est plus suffisant depuis deux mois, car la menace des pare-chocs est devenue tangible, car même Superman se casse le cou. En attendant, elle ne requiert presque rien : que je huile la chaîne au mois, que j’éloigne les araignées souvent, que je parte le moteur quelques fois pour garder chargée la batterie de ma fausse liberté.
Dimanche soir, on m’appelle. Invitation pour quelques heures entre amis, entre volutes, rires et houblon. Dame V. m’assure que tout est sous contrôle, que le père peut jouer les ados quelques heures, à condition de ne pas sentir le fond de tonne au boire du matin. J’embrasse femme et enfant, prend cuir et casque pour ensuite enfourcher ma moto. Je glisse la clé dans le contact, je tire le levier d’embrayage, et pour quitter la terre, comme Bardot, j’appuie sur le starter…
Rien.
Je refais le manège clé, neutre, embrayage, starter…
Re-rien.
Dimanche soir, un bout de mon ancienne vie qui ne requérait pourtant qu’un coup de gaz une fois de temps en temps avait la batterie à terre.

samedi 24 juin 2006

May I take your order?

Montréal downtown, petit resto asiatique. Soupebol pour ne pas le nommer, sans doute la version améliorée de l’ancien resto Soupe-assiette qui, pour des raisons évidentes, a fait faillite…
On s’assoit et un grand Asiatique vient nous porter des menus fripés. Sans nous regarder, il nous lance le Hi! un peu froid du commerçant qui en voit trop. Je ne m’habitue pas à me faire recevoir en anglais dans ma ville… On lui renvoie un Bonjour! clair pour qu’il comprenne qu’on parle français, mais ça semble peu l’affecter. Quelques minutes plus tard, notre grand serveur au regard fuyant revient nous voir :
- May I take your order?
Seconde de malaise.
- Pardon?
Patient, il répète :
- May I take your order?
Il y avait un son de gifle dans cette répétition. Pourquoi sommes-nous restés? On avait faim, j’imagine, ou une âme missionnaire…
- Est-ce que tu parles français?
Alors, sans s’impatienter, sans trouver la demande bizarre ou déplacée comme le pensent plusieurs marchands du centre-ville, notre sympathique garçon de table répète dans un français impeccable :
- Vous êtes prêts à commander?
S’il n’avait pas parlé français, ça m’aurait fâché, mais qu’il le parle très bien et qu’il insiste pour imposer l’anglais, ça me les a coupées.

À la fin du repas, monsieur Soupebol est revenu nous voir :
- Are you finish?
En effet, on était pas mal finis. On est partis en parlant une langue qu’il connaît bien : 25 sous de pourboire sur une facture de 20$...
Have a nice St.John the Baptist pareil.

vendredi 23 juin 2006

Un bébé, ça vous apprend tant de choses...

Avoir à donner le biberon à un enfant entre 3h et 6h du matin, selon le bon vouloir d’un estomac sans fond, me permet d’écouter la télé (pas câblée... c’est pas parce que je vis sur le plateau que je suis nécessairement branché) et ainsi de m’instruire…

Depuis le début de ces nuit biberonnées, j’ai appris que le livre Jésus 2006 de Sylvain Charron est la suite logique (sic!) du best seller Jésus 2005; que je peux me construire des abdos de la mort en faisant semblant de boxer; que je peux maigrir du ventre ou des cuisses ou des fesses (au choix) avec un coussin chauffant; que si j’échappe des écrous sur mon tapis, je peux les ramasser avec ma balayeuse Swiffer truc-truc plutôt que de sortir ma balayeuse industrielle lourde et bruyante, ou pire, de me pencher comme avant; que je peux écouter tous les hits des années 70 que je n’ai jamais entendus de ma vie pour seulement 4 paiements faciles plus les frais de port et manutention, le dit port devant être dans l’océan Indien si je me fie au prix demandé; que si je me fie à son teint de plastique, Kenny Rogers est décédé en 1998; qu’à 4,99$ la minute, une tireuse de cartes devinera si je suis un homme ou une femme et me prédira invariablement un nouveau boulot pour trrrrrrès bientôt; que les nouvelles d’une journée se résument en quinze minutes sur LCN (en passant, merci super-hélico TVA pour m’avoir permis de suivre les gros VUS noirs de Madonna sur l’autoroute entre l’aéroport et le centre-ville…); que les filles des lignes érotiques ont quinze ans et parlent dans des téléphones de maison argent sans fil branché dans le petit trou pour la connexion depuis un studio rempli de coussins, un bateau qui ressemble à un quai flottant ou, les coquines ont lu dans mes fantasmes, un terrain vague de Laprairie où elles étirent leur élastique de culottes… Grrrrrr….

Par-dessus tout, la tétée de nuit m’a permis de constater que 150 ml de lait permettent à un bébé d’engraisser de 100 grammes et d’étirer de 2 millimètres, produisent assez d’énergie pour faire battre les pieds dans les airs pendant 1 heure, et se transforment en 500 grammes (soit environ 8 couches) d’un cottage jaune-vert et nauséabond. À part le macaroni au fromage orange avec bout de saucisse à hot-dog, je ne vois pas ce qui peut battre cela. Avec de tels rendements, on devrait sérieusement penser au lait maternisé comme alternative à l’essence…

mardi 20 juin 2006

Un peu de tout, beaucoup de riens

Une goutte de pluie sur une feuille d’arbre un peu sèche, du miel sur une cuiller de bois, une brise sur la peau moite, une samare dans une coin du carré de sable, un os dans un jardin, le coussin d’une patte de chat, un glaçon dans un verre de limonade, une goutte de caramel sur le bout du doigt, une île de sucre sur la mousse du café, les lumières d’une piste d’atterrissage, une station-service l’aiguille sur le E, une botte de foin dans un champ d’août, l’aiguille dedans, une ampoule nue dans un entrepôt, une dent en or dans le sourire d’un Chilien, un verre de scotch un soir tiède, un phare un soir aveugle, l’appel d’un ami un soir de corne de brume, son sourire quand elle ouvre les yeux et qu’elle m’aperçoit.

mercredi 14 juin 2006

Lapsus calami pharmaceutique

Sur les boîtes de pilules anticonceptionnelles, cet avertissement:
Gardez hors de portée des enfants.

Je crois qu'ils voulaient dire:
Garde hors de portée les enfants.

mardi 13 juin 2006

Actualité

«L'amiral américain Harry Harris a affirmé que [les] suicides [de trois prisonniers de la prison de Guantanamo] ne constituaient pas un acte de désespoir, mais un acte de guerre contre les États-Unis et leurs alliés.»

Avertissement: Après le briquet et le coupe-ongle, la corde, le crochet à plafond et le petit banc ont été ajoutés à la liste des armes terroristes à la frontière américaine. Les armes personnelles, la bêtise et l'égocentrisme demeurent légaux.
Keep on rockin' in the free world...

samedi 10 juin 2006

Gheu!

Hier soir, après l’heure du boire, ma fille est là, lasse, repue, occupée à digérer sans trop régurgiter. La tête calée dans le creux de mon bras, elle me regarde de ses billes bleutées. Je lui fais des gouligoulis, rien de bien original. On est vendredi, après tout.
Puis entre deux coups de doigt sur le menton, Romane arrondit les lèvres, se concentre et fait : gheu! Un gheu guttural, à mi chemin entre le «gheu» et le «ghâ», un gheu qui ne veut rien dire mais qui m’est destiné. Je réponds un oui vaguement intéressé, comme il sied à un père un peu fatigué.
Elle me renvoie son gheu...
-Bah oui...
-Gheu!
-...
-Gheu!
Ça a duré un bon cinq minutes. Gheu! Non! Gheu! Ah oui? Gheu! Tu blagues? Gheu! T'en as parlé à ta mère? Gheu!...
Cinq minutes de discussion avant que la lourdeur de ses paupières ne l’emporte sur tout.
Alors que Jérémy rêve de s’entretenir avec le Pape, pendant que des ingénieurs de la Nasa envoient des sondes remplies de chansons d’Elvis pour jaser avec E.T., moi, assis dans ma cuisine, j’ai parlé pendant cinq minutes avec la vie.
Je n’ai aucune foutue idée de ce qu’on s’est dit.
Enfin, si. Mais je ne vous dis pas.

jeudi 8 juin 2006

De quessé ce que tu dis? The Séquelle!

Suite à mon dernier billet, plusieurs lecteurs éplorés m’ont prié d’éclaircir certaines expressions. Sous cette pluie de courriels, une lumière au bout du tunnel de ma mission sur cette planète s’est allumée : Daniel, éclaire la langue de tes pairs! C’est avec cet objectif en bouche que je poursuis ici mes chroniques De quessé ce que tu dis? C’est rien, ça me fait plaisir, vous me remercierez plus tard.

Parmi la pléthore de missives reçues, une a retenu mon attention. Elle est signée Gabrielle et je vous la lis de ce pas décidé et plein d’assurance qu’est le mien (bon, d’accord, je vous la transcrits, parce que ce blogue m’impose des limites dans lesquels j’hésite rarement à ruer):

Cher gourou de la langue,
Je vous lis depuis huit ans et toujours je vous trouve génial, articulé,
(bla, bla, j’en passe, parce que hein, j’aurais l’air de me vanter de même…)
Je me demandais si vous ne pourriez éclairer ma lanterne car ma chandelle est morte et je n’ai plus de feu au sujet de l’expression Lâche pas la patate.
Merci, très cher
(bla, bla…)
Signé : Philippe (Gabrielle était sûrement trop timide pour mettre son vrai nom, mais je l’ai reconnue).

N’est-ce-t-il pas triste? Ce candide besoin d’aide ne vous arrache-t-il pas l’alarme? Moi si, et c’est en essuyant les perles de tristesse sous mes yeux rageurs que je que je fonce dans l’ignorance dans le but de la déstabiliser.

Si mon souvenir est bon, c’est à Marieville en 1745, lors de la première rencontre des Chevaliers de Colomb, que l’expression naquit, non sans douleur. Lors de cette rencontre, l’idée d’initier les nouveaux membres germa dans l’esprit lucide de ces petits frères de l’Opus Dei et ces lointains cousins des Tailleurs de pierre et des Bisons des prairies (groupuscules érudits dont on peut voir les caricatures-hommages dans les Simpson et les Pierrafeu).
Pendant la suite d’épreuves qui composaient l’initiation proposée, les désireux pré-comlombiens devaient : traverser sans respirer le ruisseau Saint-Louis à son endroit le plus large (soit près de la rue Dupont, où il mesurait près de 13 coudées de large), attraper une famille de rats musqués avec les dents, le corps couvert de goudron et de plumes, courir nu toute une nuit devant le couvent des sœurs grises un soir de moustiques, et se nourrir pendant deux semaines de cette fameuse tourte steak et blé d’inde… sans patates! Pas à dire, on savait s’amuser à l’époque! Mais pour rendre le tout plus difficile, on devait garder en main une patate durant toute la durée de l’épreuve et la rendre intacte au jury à la fin. Il fallait voir le village entier crier aux preux wannabes: «Lâche pas la patate, et escoue tes vieilles pattes!» Notre folklorique langage ne garda de cette époque que le début de ces encouragements.

Ah! Juste d’imaginer la scène me rend nostalgique…

Les rares qui réussissaient l’épreuve devenaient illico Chevaliers de Colomb et, le meilleur de la flopée obtenait le titre de roi et le droit d’installer une roulotte en bordure de la route. Encore aujourd’hui, on peut voir des traces de cette histoire de cheu-nous en moult villages, où il reste quelques vaillants chevaliers pour garder à flots leur roulotte avec cet écriteau sur le toit : Le Roi de la patate.

D’ailleurs, pour confirmer les liens que les esprits les plus éveillés parmi les vôtres ont pu discerner avec l’Opus Dei, les Chevaliers de Colomb ont aussi leur Da Vinci Code qui livre un message secret. Les premières lettres de chaque chapitre du livre Salut Galarneau! forment l’expression «Le roi du hot dog», mais personne n'est dupe, c'est bien des Chevaliers de Colomb dont il est question de! Comme quoi, hein.

mardi 6 juin 2006

De quessé ce que tu dis?

Ne reculant devant aucun défi pour vous instruire en vous divertissant, voici ma nouvelle chronique : De quessé ce que tu dis?

Cette semaine : d’où vient l’expression «à tire-larigot»?

Cette expression veut dire en grande quantité, mais son passé est obscur, du moins l'était, puisque je suis là pour éclaircir les énigmes de la langue française, et tout cela, gratuitement et sans obligation de votre part (aucun représentant n'ira chez-vous).

Selon des linguistiques qui disent un peu n’importe quoi, l’expression viendrait de la ville de Québec, vers le milieu du 18e siècle, en avril 1612 pour être précis. En cette année de grâce, Elizabeth Hoover (ancienne fermière de Rigaud où elle cultivait des roches qu’elle essayait – sans succès - de vendre au marché dans des sacs à patates, pourtant fort populaires dans la gastronomie de son Angleterre d’origine) et son mari Klaus Hahihanhanproutfrrr (poète d’origine hongroise qui laissa pour seule œuvre la chanson C’est eeeeeeen r’venant de Rigaud, Hahihanhanproutfrrr…) s’installèrent dans la basse ville. Rapidement, le couple fut connu du voisinage sous le nom des Rigaud pour leur bonne humeur et leur tourte steak-blé d’Inde-roche.

L’année suivante, soit en 1623, une terrible inondation menaça de noyade les habitants de la basse ville et de rouille le funiculaire. C’était sans compter le dévouement de la grosse Hoover qui, par peur de voir ses réserves de roches pourrir dans le sous-sol, assécha le quartier en aspirant l’eau avec une paille pour la recracher en aval. La regardant faire, le voisinage s’écria, muet de stupéfaction : «A’ tire, la Rigaud!»

N'êtes-vous point aussi muets d'instruction maintenant?
Ne me remerciez pas, c'est normal que je sache des trucs que vous ignorez.

À bientôt pour une autre leçon de De quessé ce que tu dis?

jeudi 1 juin 2006

Soupirs

Parfois, dans l’amas de textes aux sujets éculés – l’avortement, les cellules souches, la peine de mort, etc. – un étudiant à l’humour noir parvient à faire sourire :
«Lorsqu’il y a des problèmes avec la chaise électrique, cela peut prendre plusieurs chocs avant que le condamné ne pousse son dernier soupir, qui doit être de soulagement.» A.B.