mardi 25 avril 2006

Avant le souffle

À la porte se bousculent des étudiants. C’est la litanie des maladies asymptomatiques, des faux billets de médecin achetés au noir, des grand-mères qui décèdent inévitablement deux jours avant les examens, des virus informatiques brutaux et autres chiens affamés pour justifier les travaux non remis, les examens manqués. On me supplie, on me jure que c’est la première fois. Un vague mal de tête rôde. Plus tard, dans le corridor, je serai Bozo si j’ai accepté, Hitler si j’ai refusé. Aujourd’hui, je mène le IIIe Reich…

Sur le bureau, un vieil ordi fatigué, trois piles de travaux à corriger, une tasse de café qui trône sur un cerne vieux comme le cégep. J’en prends une gorgée pour la recracher aussitôt. Les Finlandais ont un dicton qui dit que le café froid rend beau. Moi, ça me donne des goûts d’invasions. Je cherche des yeux une Pologne. Où sont les Polognes quand notre jour est venu pour marquer l’Histoire?

Dans mes poches, des clés séparés en trousseaux différents. Je ne mélange pas celle de l’auto, celle de la maison et celles du collège. Fort pratique pour chercher ses clés trois fois plus souvent au cours d’une journée. Fort pratique pour s’impatienter.

Sur la table basse, des chemises jaunes pleines de Post-It, de rappels, d’indications pour ceux qui me remplaceront à pied levé quand le téléphone m’annoncera l’ouverture des barrages, la perte des eaux, l’inondation. Alors, j’irai souffler à l’hosto. Ici, pour l’instant, l’air est à la fois léger et lourd. Je suis au feu rouge, et dans l’autre sens la lumière est jaune depuis un moment déjà.

Personne ne m’avait dit que 9 mois en duraient 10, que «d’une seconde à l’autre» signifiait interminablement, que la vie mettait tant de temps avant de respirer.

dimanche 23 avril 2006

Mon pathos, ce n'est pas mon pathos, c'est l'envers...

Pour ceux qui ont manqué la genèse du tollé, vendredi dernier, Émilie Dubreuil, une chroniqueuse (pas une journaliste, nuance) à la radio de Radio-Canada, faisait un portrait du côté sombre des blogues (et qui dit sombre sous-entend qu’il y a un côté plus clair). Basée principalement sur les témoignages éloquents de Catherine Voyer-Léger et de Bertrand Hall, la chronique mettait au jour ce que d’aucuns savent : sur les blogues, il y a de forts égos qui vivent par et pour le succès de leur blogue, que ce dernier est parfois leur unique médium de socialisation, qu’il y a un je-ne-sais-quoi de pathétique à exposer sa vie sans censure sur le Net et à attendre la réaction de lecteurs anonymes, et que de disgracieux et malsains règlements de compte parfois très personnels y foisonnent.

En réponse à ce portrait peu flatteur mais ô combien réaliste, quelques blogueurs ont remis en question les compétences journalistiques de Dubreuil, ont souligné qu’ils ne sont pas centrés sur eux-mêmes tout en se demandant pourquoi on ne leur a pas demandé leur avis sur la question, et ont attaqué personnellement, à mots à peine couverts, les deux blogueurs du reportage en les traitant pratiquement de pathétiques collabos d'un vague complot anti-blogues de la société d’état…

CQFD.

Intéressant de voir à quel point les mécanismes de défenses de certains blogueurs ont fortement réagi à ce portrait.

En psychologie, on appelle ça du déni.

mercredi 19 avril 2006

Les Mauvais Amis

Je suis un mauvais ami. J’appelle peu et j’oublie souvent les évènements importants. Je tiens mes promesses cependant, mais je le sais et je promets très peu. Je ne suis pas prometteur.

J’ai la chance extraordinaire d’avoir des amis compréhensifs, qui pardonnent habituellement mes manques, pallient mes faiblesses, poussent sous le paillasson mes lacunes. Des amis que je vois des fois souvent, parfois moins qu’avant, parce que la vie. Des amis qui appellent, qui invitent le temps d’une bière, qui donnent des petits cadeaux, comme ça, de même, parce que, parce que pour eux, Noël n’est pas toujours à la même date.

Des amis qui sourient quand je les croise. Pas des sourires hypocrites, des vrais, des contents, des sans prix. Des amis qui rient de mes travers, qui signalent mes égarements, mais sur qui je peux m’appuyer en cas de coups durs. Des amis assurance tous risques. Des amis qui me relisent, repèrent mes erreurs, soulignent mes jolies tournures, m’enrichissent. Des amis qui ajustent la vitesse, le focus, l’ouverture. Des amis lunettes, des amis objectif. Des amis qui m’appuient, soulignent mes bons coups, affichent mes forces comme des bulletins sur la porte du frigo.

J’ai surtout l’honneur d’avoir des amis à qui je pardonne les manques, les faiblesses et les lacunes. Des amis que j’invite le temps d’une bière et à qui je souris quand on se croise. Pour vrai.

J’ai cette immense chance d’avoir des amis imparfaits. Les meilleurs.

lundi 17 avril 2006

Reflux

Fin de semaine en forme de brunchs familiaux. Mon foie s’est retrouvé enseveli sous les croissants cholestérolés, les cafés trop tard en matinée, les verres de vin trop tôt, les fromages coulants et les pâtés de bêtes trop jolies pour être mangées sous d’autres forme que chocolatées. Mais tout cela était sous le signe de la bonne humeur, des retrouvailles rassurantes malgré tout, des derniers jours avant la paternité.

La fin de semaine s'est terminée dans la quiétude de l’appartement redevenu silencieux. Vers les 22h, je suis allé verrouiller la porte en me disant que je ne sortirais pas ce soir; j’étais un peu fatigué, j’avais ce vague brûlement d’estomac et je voulais rester écrasé dans mon sofa à regarder la télé éteinte. Dehors marchait un adolescent. Il avançait avec cette foi aveugle en la vie qu’on a à quinze ans. Quand il m’a vu dans la porte, il a fait semblant de me reconnaître et m’a trop chaleureusement salué avant de disparaître en riant au coin de la rue.

C'est moi ou la vie m'envoie un message?

mardi 11 avril 2006

Comptes rendus

Décompte des jours, décompte des heures. On compte dans nos têtes, on compte sur la pleine lune qui elle, compte pour des prunes. Un compte à rebours impossible où zéro peut être ce soir, demain ou la semaine prochaine. Une sorte de compte à rebours de quart-arrière. 82-7-24… Hop! Hop! Hop! Comme quoi tout ne commence pas à zéro, comme les décollages de fusée ou les courses de sacs à patates.

À défaut des jours, on compte lentement les centimètres d’ouverture. Mais on ne compte toujours goutte...

Dans nos insomnies, en place des moutons, on compte les pas, ceux qu’on fera mille fois, qui séparent la chambre du salon, la chambre de la chambre, le lit du rêve, le rêve cerné, le rêve qui refuse de s’endormir. Heureusement.

Dans ces insomnies, je me retrouve au pied du berceau. Je tourne la clé du mobile et des lames de métal butent sur les bosses d’un barillet, jouent une mélodie pour endormir les petits, pour faire rêver les grands. Puis je me rends compte que je suis devant un lit vide depuis quelques minutes déjà. Des minutes que je ne compte pas.

Pendant que Dame V dort pour deux, respire pour deux, vit pour deux, je compte, je tiens compte de nous. 1, 2…

Demain, peut-être, en fin de compte, jusqu’à 3.

lundi 10 avril 2006

Un Tour de taxi sur le siège avant

Parfois, il est bon de se faire raconter la vie vue depuis le rétroviseur.
Taxi!

Pour prendre le pouls, lisez 12 heures en taxi et laissez monter le compteur...

Un must.

mercredi 5 avril 2006

Hervé

Hervé habite seul dans un petit deux pièces qu’il sait son dernier. Quand je vais le voir, nous bavardons un peu, écoutons beaucoup, les nouvelles télévisées surtout. Hervé aime être informé des événements.

Avant sa retraite, Hervé a été informaticien, un des premiers spécialistes de ces immenses trucs capables de miracles pour l’époque. Des trucs avec des bobines et des diodes rouges et vertes, des armoires grises qui occupaient des étages entiers, des calculateurs un peu inquiétants dans lesquels Hervé pouvait entrer le corps au complet quand il devait les réparer. Puis, tranquillement, les machines ont commencé à rapetisser. Plus ces bêtes se réduisaient, plus il était ardu de les comprendre. Bien sûr, Hervé n’y rentrait plus au complet, et il a appris à rester en surface des choses. C'était juste avant sa dépression.

Aujourd’hui, Hervé me raconte son métier et regarde sa montre. Ce petit boîtier de rien du tout est capable de calculer ce qu’un étage de monstres à bobines ne parvenait à produire en 1970. Mais plus personne ne peut la réparer, comme plus personne ne répare les ordinateurs. Au mieux, le plus vaillant des techniciens changera une pièce, mais jamais il ne la réparera. La nuance est immense.
- Aujourd’hui, lance Hervé presque à lui-même, quand c’est brisé ou usé, on jette.

Puis Hervé reste silencieux quelques secondes. Pendant cette pause, on fait semblant d’écouter Bernard Derome, mais on écoute le vide, le temps d’entendre le fracas d’une vie que personne ne réparera et qu’on aura remplacée demain.

lundi 3 avril 2006

Entre l’arbre et la Cops, ou carnet d’un vieil indépendantiste

Impossible que vous n’ayiez pas entendu parler de l’ouvrage «Parlons de la souveraineté à l’école». Le manuel se veut une réponse à l’endoctrinement tranquille qu’impose le mouvement fédéraliste dans les écoles. Allez voir dans les écoles : le drapeau canadien est partout : affiches, dépliants, brochures… Merci Sheila! Et programme des commandites (cessons d’en parler au passé, il est encore en place!) Quand j’étais petit, je chantais le Ô Canada tous les matins à l’école. Aujourd’hui, on ne chante plus l’hymne, on danse autour du drapeau.

Qui s’en offense? À peu près personne, et ça, ça m’attriste. On croit idiotement que ce n’est pas de la propagande, qu’un drapeau, ça ne vend aucune idée… Pourtant, fixez un point rouge sur une feuille pendant 1 minute puis fermez les yeux, vous le verrez encore. L’esprit, c’est comme les yeux, sauf que là, vous fixez un drapeau pendant 13 ans! Si ça marche avec Coke…

Donc, a priori, je serais pour toute résistance contre cet envahisseur. Je mange bleu, je bois bleu, je vis bleu depuis longtemps. Mais voilà, là, je vois rouge: la réponse qu’on envoie à l’injure est l’insulte. La feuille d'érable est dans les écoles? Plutôt que de la bouter dehors, comme on l'a fait avec Dieu, on y entre aussi! Misère! La seule défense digne de ce nom qu'a donné de leur livre les défenseurs de «Parlons de la Souveraineté à l'école» est qu'il est en vente libre, pas dans les écoles. Alors pourquoi ce titre à la con? Pour discréditer les souverainistes? Bravo, c’est fait!
Avec des amis comme ça, pas besoin d’ennemis.

Pourtant, il n’aurait fallu changer que quelques mots, tous sur la page couverture du livre. D'abord le titre: «Parlons souveraineté aux jeunes», ça aurait été plus sympathique. Ensuite, le nom de l’éditeur…

Et ce matin, qu’apprends-je? Que certains comparemt le geste à la propagande hitlérienne (un point Godwin! Il n'a pas tardé...) et que Sheila Cops accuse les souverainistes de propagande (remarquez que quand elle cause propagande, elle connaît la chanson!)

Je ne sais pas pour vous, mais moi, j’ai besoin d’un petit café. Et je me sens si las tout à coup…