mardi 12 septembre 2006

Tamponnade

Karine danse depuis qu’elle sait marcher. Peu après son quatrième anniversaire, ses parents l’inscrivirent à un cours de rythmique. S’enchaînèrent ensuite leçons de ballet jazz, de danse sociale, de ballet classique, de nô même, si bien que dès l’âge de sept ans, quand Karine entendait 1-2-3-4, elle répondait 2-2-3-4, 3-2-3-4 en riant.

Son adolescence se passa la corne au pied avec des affiches de Barichnikov, de Soleil de nuit et de LaLaLa Human Steps. Elle savait bien minces ses chances de percer, mais elle était belle, marchait droit, s’entraînait beaucoup, pratiquait toujours. Elle a même changé son nom pour Karina. Parce que. Puis, un jour de spectacle, elle fut repérée par un grand inconnu qui lui offrit un contrat, certes peu rémunérateur, mais tout de même plus payant que son boulot à la beignerie qui meublait ses rares temps libres. L'«exposure» prometteur rendait l'offre impossible à refuser.

Pour ce grand inconnu, Karina dut interpréter la joie, la légèreté et la liberté dans une publicité télévisée. En fait, elle mit toute sa formation à profit pour faire virevolter une longue jupe blanche qui, dans un magnifique jeu de fondu cinématographique, devenait un tampon très absorbant.

Karina fut sur tous les écrans dans toutes les chaumières pendant près d’un mois. Elle disparut ensuite au profit d’une brunette vaporeuse qui faisait du cheval dans un champ de marguerites. Karina resta près du téléphone à espérer un second contrat, en vain. Puis essoufflée, écartelée entre un rêve fugitif et des créanciers insistants, elle laissa tout tomber, rêves et rires, pour devenir professeur dans une petite école de danse d’un quartier bourgeois.

Karina aura suivi des cours de danse pendant seize ans pour finalement faire une pub de tampons. Des tampons extraordinairement absorbants.

6 commentaires:

  1. C'est à partir de ce moment qu'on a le droit de sombrer dans le cynisme?

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  2. Personnellement, je penses qu'elle a pris des cours pendant seize ans parce qu'elle avait (et a probablement toujours) la passion de la danse. Il est important de vivre ses passions au risque de le regretter.
    Et même si cette annonce fut son plus grand moment de notoriété, peut-être réussira-t-elle à insuffler cette même passion chez l'un(e) de ses élèves qui à son tour prendra des cours pendant des années... Et là elle aura légué quelque chose de bien plus grand qu'une simple pub éphémère, mais un souffle de passion...

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  3. ...et à son tour son élève pourra alors faire une pub de tampons encore plus absorbants! ;)

    Non, sérieusement, je trouve la conclusion un peu cynique comme le remarque constance. Ce m'est pas parce qu'une personne rêve de démontrer son talent qu'elle a fait tout ça pour impressioner. C'est avant tout un désir et un défis personnel. On peut parfois mélanger passion et gloire, mais simplement vivre de sa passion est à mon humble avis déjà suffisant, la gloire vient en option.

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  4. Si vous y voyez du cynisme...
    Moi, je voyais le drame malheureusement courant de ces danseurs, chanteurs, comédiens qui bûchent toute leur vie pour perfectionner un art qui finira par servir à vendre dees trucs à la télé.
    Moi, j'y vois une société un peu malade...

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  5. Ayant étudié en musique, cette situation m'est plus que familière. Les individus qui choisissent une discipline comme la danse n'ont pas le choix. Ils seraient malheureux s'ils faisaient n'importe quoi d'autre. Avec ma gang de maîtrise, on avait l'habitude de dire : " Ce n'est pas moi qui ai choisi d'étudier en musique, c'est la musique qui m'a choisi". C'est ça le drame...

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