lundi 26 décembre 2005

«Simple et rapide»

Lundi matin, un couple d’une soixantaine d’années est venu à la machine photo du centre d’achats. Alors que la dame sortait un document d’un grand sac Sears, l’homme tentait de comprendre comment fonctionnait cette espèce de numériseur public. «Simple et rapide» indiquait le message d’accueil sur l’écran. La tête droite, l’homme essayait de lire au travers ses doubles foyers la marche à suivre imprimée en caractères trop petits. Une à une, sa femme a sorti des photos d’une autre époque, triées consciencieusement les jours précédents. Une à une, le retraité a numérisé, recadré, balancé les couleurs, bleuté les yeux rougis comme d’autres corrigent des examens. Il appuyait sur des boutons avec cette crainte qu’on a toujours devant des machines inconnues, enregistrait ses modifications, tentait d’oublier que ses genoux s’impatientaient, tout cela pendant que sa femme chassait à coups de sacoche la grosse fausse blonde trop maquillée qui soupirait d’impatience derrière eux. Quatre heures devant un écran à revisiter le passé. À la dernière photo, sur le point d’imprimer son œuvre, l’homme a soupiré, content et un peu fier; le centre fermait ses portes dans quelques minutes, ils avaient réussi. Il a appuyé sur la touche «Terminé» pensant entrer en phase d'impression. L’écran est revenu à son message d’accueil : «Simple et rapide».

L’homme a regardé sa femme, le regard dans une buée à mi chemin entre le découragement et la rage. Il ne restait plus qu’à tranquillement rentrer à la maison. Ils n’ont pas beaucoup parlé ce soir-là.

Le lendemain, à l’ouverture du centre d’achats, le couple était à nouveau devant le numériseur. Cette fois, la femme avait un plus petit sac, et l’homme a numérisé et imprimé son contenu en moins d’une heure avant de rentrer chez-lui heureux, en tenant sa femme par la main. Les deux amoureux sont revenus au centre tous les matins suivants, pour une heure chaque fois, et chaque fois, ils repartaient avec le sourire et leur petit sac. Puis le samedi matin, une grosse fausse blonde trop maquillée était à la machine. Les retraités avaient fini leur boulot.

* *

Ce Noël, entre autres cadeaux, mes parents m’ont donné un album photo personnalisé avec contenu fraîchement numérisé, recadré, recoloré: moi à mon baptême dans les bras de mes grands-parents; moi et mes amis à ma fête de cinq ans; ma mère qui tente de convaincre ses enfants de prendre une belle pose pour la postérité alors que nous faisions des grimaces, moi assis sur un cheval tandis que mon père tenait les guides… J’ai calculé rapidement que mon père avait 36 ans sur cette photo. Mon âge aujourd’hui. Puis une photo de mon petit frère et moi dans notre «suit» de baseball… J’ai toujours haï le baseball. Pourtant ce Noël, j'ai été ému à la vue de cet uniforme et de mon gant trop grand. Ces photos montraient ce que des yeux étrangers ne verraient jamais.

Ce Noël, j’ai probablement eu un des plus beaux cadeaux. Et un cadeau comme ça, ce n’est jamais simple et rapide.

4 commentaires:

  1. Wow! Quel beau cadeau pour vrai!... Voilà des gens intelligents et sensibles. Tu es chanceux.

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  2. Et moi ça fait trois fois que je lis ce texte et ça fait trois fois que je braille. Merci, Daniel, y a des larmes qui font du bien en maudit.

    M.

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