mercredi 21 décembre 2005

Les Rois déchus de la montagne

Quand j’ai emménagé à Montréal à l’âge de 18 ans, j’étais fasciné par la frénésie humaine que provoquait une tempête de neige. Je pouvais passer des heures assis à la fenêtre de mon appartement de la rue d’Iberville à regarder les gens se stationner en biais, à pousser leur bazou soudainement innofensif à cause de quelques centimètres de neige sous les roues. Dans ma vie rurale d’avant, l’hiver, un camion, une souffleuse ou une charrue (une grosse gratte jaune sale avec des roues avant géantes inclinées de côté) tassait la neige sur le bord des rues et créait des montagnes de neige qui fondaient jusqu'à la mi-juin et qui redonnaient au printemps les mitaines et les tuques qu’on y avait oubliés. Dans ces montagnes, on construisait des forts, on creusait des tunnels, on inquiétait nos parents car ces montagnes de neige écrasaient son lot d’enfants à chaque année, toujours dans de petits villages éloignés où les gens devaient être bien cons, du moins plus que nous qui l’étions déjà pas mal. Mais à huit ans, ces montagnes étaient des pays qui ne nous laissaient rentrer au chaud que lorsque notre habit de neige et le feutre de nos bottes de ski-doo étaient trempés de bonheur gratuit.

À Montréal, j’ai vite compris que les montagnes de neige n’étaient pas aussi ludiques. Quand on les laissait quelques jours sur le bord des trottoirs, des enfants s’y glissaient comme la vermine s’immisce dans les ordures, et immanquablement, quelques-uns se faisaient manger par une souffleuse au conducteur un peu édenté, en bédaine dans sa cabine vitrée. Alors on s’est vite convaincus qu’il fallait enlever la neige tout de suite dans un ballet mécanique impressionnant. J’ai passé toutes mes premières neiges montréalaises appuyé au rebord de la fenêtre pour regarder les chenillettes déblayer le trottoir, puis un tracteur pousser la neige dans la rue, la charrue la repousser sur le bord, une première souffleuse la projeter maladroitement dans des camions dignes de la baie James. Puis tout recommençait une autre fois, parce que les camions bavaient, parce que la souffleuse ne savaient pas quand s'arrêter de souffler, parce qu’il en restait un peu partout. Et derrière tout cela, des automobilistes roulaient à vitesse réduite pour profiter d’une place de stationnement toute neuve juste devant leur porte, luxe urbain éphémère, et ces derniers rentraient chez-eux enorgueillis en se disant que c’est don’ beau, une belle rue propre propre.

Hier, j’ai regardé cet étrange ballet une autre fois. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas fait. Je l’ai trouvé bien triste. Peut-être est-ce l’âge, peut-être est-ce la paternité qui s’en vient, mais j’aurais échangé tous les tracteurs de la ville pour m’asseoir devant ma fenêtre et regarder des enfants conquérir des forteresses de neige. Des forteresses faussement menaçantes qui empêchent les voitures de se stationner et qui redonnent les jouets oubliés au printemps.

Peut-être devrais-je descendre dans la rue, m'emparer d'une montagne en y construisant un fort, puis y planquer un tas de munitions en balles de neige, et la défendre contre les charrues jaunes conduites par des hommes bronzés en hiver. Il est fort à parier que mes voisins me trouveraient débile. Vous n'avez pas idée à quel point ça me rassurerait... Des volontaires? Il me manque des grenadiers et des lanciers avec des couilles grosses comme ça. Un cuistot aussi. Envoyez vos c.v.

11 commentaires:

  1. je mets mes bottes en feutre pis j'arrive... prépare les munitions, on va se payer une hécatombe de Tonkas.

    j'ai un cv long comme le bras en bataille de boules de neige et de vieilles mitaines, les rouges avec une corde qui passe dans le dos pour être sûr de pas les perdre.

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  2. Hiii! Ça sent le banlieusard en devenir ;o).
    J'ai une méga grande entrée à pelleter hein, si ça te reprend, tu te gênes pas!

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  3. Super! On est déjà 2, avec un bataillon outre-Atlantique qui parle avec un accent (ça intimide l'ennemi motorisé, j'vous dis pas... Guerre psychologique, here we are!)

    Cath: Si les banlieusards sont le symbole de la résistance, on est dans la grosse m...

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  4. Hummm, moi je serais plus le genre à pitcher les enfants dans les bancs de neige en face des souffleuses.... M'enfin...

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  5. si je creuse dans ma petite mémoire vive, je dois pouvoir retrouver mes réflexes de constructeur d'igloo, tunnels et autres tas de neige alpine datant de mon enfance... mais je crains que le cru de l'hiver 05/06 n'ait fondu à mon arrivée!

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  6. Si je comprends bien, vous êtes prêts pour la guerre. La guerre, la guerre, c'est bien beau mais... c'est pas une raison pour se faire mal.

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  7. chez nous il n'y a pas beaucoup de neige. Un jour, elle est tombée, au ravissement des enfants. Trop peu de matière première pour faire un bonhomme. (encore moins un tunnel, tu penses!) Ils ont fait un chat de neige, avec des aiguilles de pins pour les moustaches. Puis ils se sont désolés, parce qu'il allait fondre, et qu'ils voyaient bien, dans les mimiques des grands, que c'était inévitable. Le grand père, lui, grattait sa barbe.
    Le lendemain, le chat avait disparu. Curieusement, ses moustaches aussi.
    Un jour de juillet, les enfants s'ennuyaient. Malicieux, le grand père les a attirés, maussades, dans la réserve.
    il a ouvert la porte du congélateur.
    Et là, devant le chat de neige qui attendait leur retour depuis six mois, les rires avaient le même son éclatant qu'en hiver.
    J'ai, depuis ce jour, une solide affection pour le vieil homme capable de conserver la magie d'un instant de neige dans ce pays pluvieux

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  8. Moi j'avais une voisine qui avait gardé (congelé) son lapin (de compagnie).

    J'imagine aussi la surprise des 'tits-nenfants!

    entéka.

    J.R.

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  9. c'est cruel. Mais, du coup, dites nous cher Daniel : à la fonte des neiges, trouvez- vous, outre les jouets, ceux qui vous avaient posé un lapin?

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  10. J'offre mes services de spécialiste en tunnel, igloo et sous-entendus.

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  11. Bataille de boules de neige!!!
    wow....j'aimerais en faire partie.
    (hum...pour superviser évidemment)

    Carolyn.

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