vendredi 20 mai 2005

L'homme qui mangeait des mouches

Dans toutes les familles, on a un oncle rigolard qui fait des coups au téléphone ou invente des histoires à coucher dehors pour amuser la famille à Noël. Moi, j’en ai eu plus d’un, et l’un d’eux s’appelait Maurice.

Alors que j’étais petit, Maurice m’impressionait beaucoup. Quand j’arrivais chez lui pendant le temps des Fêtes, il me serrait toujours la main un peu fort et un peu trop longtemps, en me donnant une grande claque sur l’épaule. J'en perdais l'équilibre. Ça me gelait là. C'est qu'il était imposant: en plus de faire quatre fois la largeur de mon père, il avait survécu à une crise cardiaque, à la mort de quelques enfants et à une mise à pied digne d’une chanson de Richard Séguin. J’étais sûr que pendant la Deuxième Guerre mondiale, on l’avait envoyé au front, mains nues, pour faire peur aux Allemands. Il parlait fort, semblait gérer mes cousins comme une entreprise, et m’envoyait des clins d’oeil quand il lisait l'inquiétude s’installer au fond de mes yeux d’enfant. Il avait des mains grandes comme ça avec lesquelles il attrapait des mouches qu’il faisait semblant de manger. Même du bas de mes cinq ans, je savais qu’il blaguait. Mais au fond de moi persistait ce doute: et s’il les mangeait pour vrai, ce con?

Cet hiver, j'ai revu Maurice pour la première fois en près de vingt ans. Le temps lui avait redonné une stature humaine: il n’était plus si grand que ça, sa voix n’était pas si claironnante, mais il me serrait toujours la main un peu trop fort et un peu trop longtemps. Il avait l’air heureux et rigolait, fidèle à mes souvenirs.

Ce matin, on a enterré Maurice. J’ai croisé des cousins qui maintenant grisonnaient, des tantes qui rapetissaient, des petit-cousins que je n’avais jamais vus. Après le service funèbre, pendant que je mangeais un sanwich au jambon pas de croûte avec l’un des petits-fils de Maurice, une mouche s’est posée sur mon bras. Sous les yeux de mon petit-cousin de dix ans, j’ai attrapé la mouche et j’ai fait semblant de la manger. Puis je me suis enfilé un radis taillé en fleur, pour changer le goût, ai-je dit. Le petit m'a trouvé bien dégueulasse et en grimaçant, il est allé s’asseoir plus loin. J'ai rigolé. Il y a des héritages qui font sourire.

Je doute fort que saint Pierre existe, mais si oui, Maurice lui serrera sûrement la main trop fort et un peu trop longtemps. De toutes manières, le dernier clin d'oeil entre nous, c'est moi qui te le fais.

Salut Maurice!

1 commentaire:

  1. Touchant.. :)

    C'est vrai qu'on a tous dans notre malle à souvenirs un "Mononcle" comme ça. Le mien s'appelait Roger. Il appelait toutes les p'tites filles "ma noire", voulait toujours des bisous et faisait toujours plein de blagues que je ne comprenais pas. Je ne le voyais pas souvent, seulement l'été, quand on visitait mes grands-parents au camping. Il m'intimidait au plus haut point!

    La dernière fois que je l'ai vu, tout comme toi, ça faisait une quinzaine d'années que je l'avais vu. Il m'impressionnait quand même encore un peu, dans son cercueil..

    Son fils a fait sourire toutes les cousines en les appelant "sa noire".. :)

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