lundi 14 février 2005

L’Homme des banalités, première partie

Je suis né dans une maison située tout juste après la voie ferrée, en sortant du village. Les trains du CN qui y passaient empêchaient tous les non-indigènes de dormir. Même la gardienne, qui ne venait pourtant pas de très loin, se réveillait en sursaut quand le métal des roues du train frottaient l’intérieur des rails. Moi je ne tournais même plus la tête. Certains ont les vagues de la mer, d’autres les chevreuils ou une autoroute. J’avais les trains et le sommeil lourd.

Je suis allé à l’école Notre-Dame-de-Fatima où il m’a fallu 3 ans avant de savoir épeler infirmière. Puis un jour, pendant une dictée, entre deux gouttes de sueur, je l’ai bien écrit. Ce jour-là, je n’avais pas grillé de fourmis avec ma loupe dans la cour de l’école.

Près de l’école, il y avait une bibliothèque. J’y dévorais les Buck Danny et les Michel Vaillant, j’y rêvais d’engins qui filaient à vive allure. Et il y a eu les scouts, les badges, les coups de griffes. Et tous les samedis, j’allais nager. Comme un poisson, disait mon père. Je disais rien, mais ça avait pour moi un goût de podium olympique.

Ensuite, on est déménagés. Pas fâché. Dans la nouvelle ville, dans notre nouvelle maison, je dormais dans une chambre pas encore finie au sous-sol. Chaque soir, en écoutant Just an Illusion à la radio, je regardais le bois du plancher du salon comme je regardais les grands et plus tard les jupes des filles, par en dessous. On y avait imprimé une date : 13 mars 1982. Dans ma nouvelle maison, les feuilles de bois avaient des dates de naissance. Puis il y a eu les emplois au McDonald, à la station-service IGS, au centre culturel Fernand-Charest. Des emplois tout petits dont je me lassais vite mais qui m'ont permis d'acheter les disques de Simple Minds et une moto en acier.

Un jour, je vous raconterai le reste, mais je vous avertis, c’est assez banal. Je tiens seulement à préciser qu’aujourd’hui, la voie ferrée du village de mon enfance n’est plus utilisée depuis longtemps; les trains n’y réveillent plus personnes, et les rails rouillent.

7 commentaires:

  1. Banal mais très beau. Et inspirant.
    Moi je dors près du train. Et ce train roule depuis toujours. Je sais que ma mère l'a entendu, coucher près de la même fenêtre. Et ma grand-mère avant aussi. Elle allait sous le pont je suppose pour être seule avec mon grand-père. Et mon autre grand-père montait sur le pont pour tirer des roches, et des coups de fusil. Il me l'a dit avant de mourir. Et Gabrielle, mon arrière grand-mère, elle avait le train aussi pour bercer ses états d'âme et ses nuits fragiles.
    La nuit le train ne me réveille pas non plus. Il transporte mes racines. Jusqu'au fond de mes rêves.

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  2. Pour moi c'était le "pvuuuut..Pvuuuuuuuuuttttttt...
    pvuut" adouci par la glissade du son sur le fleuve...

    Le train qui passait à Beauport, je n'en entendais que la corne d'avertissement, dans ma chambre lattée de vieux bois dans la maison de l'Île d'Orléans...

    Magie de l'écrit... Il a fallu que je te lise pour me rendre compte que ce minuscule détail est une des couleurs fondamentales de mes souvenirs d'enfance...

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  3. Le train passait littéralement dans ma cour et je ne l'ai jamais entendu. Mais au moindre pleur de ma sœur, je me réveillais.

    J'ai changé depuis, remarque ; maintenant quand elle m'appelle en pleurant, je me fais jouer une cassette de train...

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  4. Des trains partout dans nos enfances...
    Peut-être que le train dans la présence d'un enfant implique un dérèglement neuronal qui entraîne avec l'âge la nécessité d'une greffe bloguienne.
    Euh... bon...

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  5. C'est drôle, moi je couchais dans la même chambre que ma soeur et on s'endormait toujours à coups de «C'est assez là les filles! Dormez!!!!». Faut dire que je vivais à côté des Italiens et les tomates, ça fait pas de bruit...

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  6. Merci Daniel pour tes souhaits, et pour tes petits textes qui savent toucher l'essentiel extraordinaire beauté de notre quotidien.

    bonne journée !

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  7. l'essentielle...évidemment.
    ça quand on commence à inverser les phrases et qu'on lit trop de phrases perverties.

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