mardi 19 octobre 2004

Sharon. Ou Sherryl.

Où je travaille, il y a plein de gens. Beaucoup de jeunes, quelques vieux, et des concierges. Ça n'a pas trop d'âge, un concierge. Parmi les vieux, il y a une femme qui s'appelle Sharon. Ou Sherryl. Je n'ai jamais su. On l'appelle toujours Cher. Toujours est-il qu'elle est une salope de la pire espèce. Elle parle contre tout le monde, fort, avec une voix de mauvaise opérette. Durant les réunions, elle s'arrange toujours pour faire pleurer quelqu'un. Et si ça ne fonctionne pas, elle pleure elle-même. Elle persiste à se croire jeune et porte toujours les vêtements qui lui ont probablement apporté un certain succès auprès des hommes en 1972. Une méchante déguisée en Fanfreluche gothique. Ce genre qu'on retrouve dans tout bon boulot. Unique et éculée. La mienne s'appelle Sharon. Ou Sherryl.

Il y a quelques années, son mari l'a quittée pour une autre, son père est décédé en la déshéritant et sa fille est partie du nid familial en la giflant, tout cela dans la même semaine. Ça l'a à peine ébranlée. Elle semblait se nourrir de ces malheurs et être plus joyeuse que jamais. Rien de pire qu'une salope joyeuse. Mais un jour, Cher est arrivée en pleurant. Cancer. Du sein. Ablation sûre. Les spécialistes croyaient l'opération pratiquement inutile et prédisaient le pire. Même moi, je n'ai pas souri. On ne peut souhaiter cela à personne, même à Cher. Ce fut le bistouri. Contre toute attente, Cher s'est rapidement remise de son opération, et malgré les complications qui auraient sapé n'importe qui, elle est revenue bosser comme si de rien n'était.

J'aurais aimé conclure de belle façon, raconter comment Sharon, ou Sherryl, est devenue une bonne personne ou ma meilleure amie. Ce n'est pas le cas. Elle est revenue plus courbée, plus grise et plus salope qu'avant, avec cette absence de compassion qu'ont souvent ceux qui ont tutoyé le pire.

Je me suis toujours demandé pourquoi elle s'était cramponnée de la sorte à une vie sur laquelle elle a toujours craché. Il y a des gens qui s'accrochent, qui ne savent pas quand passer l'arme à gauche, et qui font de la vie une mauvaise habitude, comme se ronger les ongles et cracher ses rognures sur le tapis.

6 commentaires:

  1. C'est vraiment un plaisir de te lire ! J'ignore si tu as déjà écrit un roman ou des nouvelles, mais tu devrais le faire ! M ! www.melanie-claude.monblogue.com

    RépondreEffacer
  2. Elle est ressortie de cette opértion avec moins de compassion qu'avant...le sein serait-il le siège de la compassion? Vous seriez mal barrés les mecs...(remarquez que je ne suis pas beaucoup mieux :-/)

    RépondreEffacer
  3. Il n'est plus là, le mec. Un matin, je suis arrivé, et c'était une grosse femme à sa place. Mais elle maîtrise le langage des clés, elle aussi.

    RépondreEffacer
  4. Je suis fier et heureux de ne pas bosser dans un milieu de travail qui fomente des réunions en présence et compagnie des concierges. À moins d’être concierge. Ou d’avoir un [gros] Garâge double.

    RépondreEffacer
  5. En matière d'opérette, je vous conseil Les Palétuviens

    RépondreEffacer
  6. Je te relis, je relis mon commentaire. Dieu que tu écris bien. Dieu que je suis con (et que j'aime ça).

    Signé : J. Pasrap R.

    RépondreEffacer